Diffamation et injures : mode d’emploi

Il est vrai qu’il y a des jours où on a envie de faire connaître à la terre entière ce que l’on a subi (licenciement abusif, harcèlement moral, investissement locatif ruineux,…).
Les forums et les blogs jouent un rôle essentiel en cette matière.

Encore faut-il y mettre les formes… sous peine de tomber dans la diffamation ou dans l’injure (sanctionnées pénalement) et de mettre en cause la responsabilité de l’administrateur du site qui a accueilli nos propos parfois bien malgré lui.

Publication initiale le 11/06/2010 – Dernière modification le 30/07/2014

Il est toujours bien plus aisé pour la personne qui se prétend diffamée ou injuriée d’engager une action contre l’administrateur du site qui porte le blog ou le forum… que contre l’internaute auteur des propos litigieux caché derrière son pseudo.

Le site est en effet obligé d’afficher ce que les juristes appellent des mentions légales (nom et siège social/adresse de l’entreprise ou de la personne responsable).

Il ne faudrait pas en conclure hâtivement que, si les propos tenus sont supposés ou reconnus diffamatoires ou injurieux, l’administrateur du site sera le seul à porter le chapeau, la recherche de l’adresse IP de l’internaute mis en cause étant devenue très fréquente dans les procédures.

Chaque internaute est désormais responsable des contenus qu’il publie sur le réseau. La prudence s’impose donc. Voir sur une éventuelle évolution de la législation en cette matière.

Après un rapide rappel juridique du contenu de ces deux notions, passons à des cas pratiques à l’issue desquels vous saurez faire part de votre déception / mécontentement / colère / révolte … sans risquer les sanctions pénales.

Pour ceux qui marqueraient un peu d’étonnement en constatant que la répression de la diffamation et de l’injure sur le net repose sur une loi du XIXème siècle, je rappellerai seulement que ce texte avait vocation à réprimer les délits de presse à l’époque où celle-ci tachait d’encre les doigts de ses lecteurs.

Cette loi du 29 juillet 1881 n’a pas pris une ride (même si elle a fait l’objet d’évolutions) puisque son application ne pose aucune difficulté dès lors qu’il s’agit de réprimer les délits commis au début du XXIème siècle au moyen d’outils qui laissent les mains propres.

Il existe beaucoup d’autres délits de presse mais nous nous limiterons (pour aujourd’hui au moins) à la diffamation et à l’injure publiques.

Il ne faudrait pas en conclure que des propos diffamatoires ou injurieux peuvent être tenus en privé en toute impunité. En schématisant, on dira que des propos publics sont des délits alors que les mêmes propos sans publicité sont réprimés comme des contraventions.

La diffamation publique

Selon l’article 29 de cette loi, la diffamation est définie comme « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé« .

La jurisprudence s’est évertuée à préciser les contours de ce délit.

La plainte devra être déposée dans les 3 mois de la première diffusion des propos incriminés. Au-delà, il y aura prescription (perte du droit d’agir en justice sur ce fondement). Dans le cas où la diffamation est commise envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, en raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap le délai de prescription est porté à un an (article 65-3 de la loi du 29 juillet 1881 modifié par la loi du 27 janvier 2014).

Il n’est pas nécessaire que la personne visée soit expressément nommée dans les propos ; il suffit que l’on puisse la reconnaître.

Si j’écris que notre ministre de [zzzzz] a été impliqué dans une affaire d’escroquerie, il est possible que mes propos soient diffamatoires… car tout le monde aura reconnu Monsieur [xxxxx]. D’autant que, si Monsieur [xxxxx] n’a pas été condamné par une juridiction pour escroquerie en vertu d’une décision devenue définitive (décision non susceptible d’appel ou de pourvoi en cassation)… mes propos sont diffamatoires.

Il est tout aussi dangereux d’imputer des faits qui porteraient atteinte à l’honneur d’un corps de métier (les banquiers, les notaires, les garagistes, les dentistes,…).

Un grand principe en cette matière : dès lors que l’on attribue à une personne (ou à un groupe de personnes) des faits passibles de sanctions pénales (vol, escroquerie, abus de confiance, …), le risque de tenir des propos diffamatoires est extrêmement élevé.

L’intention coupable de l’auteur des propos est toujours présumée par les juridictions. La relaxe de l’auteur ne peut intervenir que si il rapporte la preuve des faits incriminés.

Ainsi, on ne peut pas dire/écrire :
– Que Monsieur [zzzzz] a fait l’objet de « condamnations » sans donner plus de précisions (cas. Crim. 15/10/1985)
– Que Monsieur [zzzzz] est un « maffioso » (TGI Paris 15/11/1989), un « condamné de droit commun » (cas. Crim. 18/01/1950)
– Qu’un candidat à une élection politique a fait l’objet de condamnations dès lors que celles-ci sont amnistiées (cas. Crim. 08/01/1985)
– Que Monsieur [zzzzz] ou le Président de la société [yyyyy] est un voleur, un escroc, qu’il est coupable d’abus de bien social, de faux et usage de faux,…

Signalons également
– que reproduire des propos diffamatoires tenus par d’autres est tout aussi répréhensible que de les avoir tenus soi-même
– que faire état de sanctions pénales ayant frappé une personne alors que ces sanctions ont fait l’objet d’une amnistie relevait aussi de la diffamation (voir Cas. 1ère 16 mai 2013 – n°12-19783)
jusqu’à ce que le Conseil constitutionnel déclare, dans une décision du 7 juin 2013 que « le c) de l’article 35 de la loi du 29 juillet 1881 susvisée doit être déclaré contraire à la Constitution ; que cette déclaration d’inconstitutionnalité est applicable à toutes les imputations diffamatoires non jugées définitivement au jour de la publication de la présente décision. »

Article 35 de la loi du 29 juillet 1881 (avant la décision du Conseil constitutionnel du 7 juin 2013) :
La vérité des faits diffamatoires peut toujours être prouvée, sauf :
a) Lorsque l’imputation concerne la vie privée de la personne ;
b) (Abrogé)
c) Lorsque l’imputation se réfère à un fait constituant une infraction amnistiée ou prescrite, ou qui a donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision ;

Les sanctions  :
La diffamation publique commise envers un particulier est un délit passible de 12.000 euros d’amende (article 32 de la loi sur la presse)… et je n’évoque ici que la diffamation simple ; si celle-ci est commise envers « une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap », la peine peut s’élever à un an d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende.

L’injure publique

Selon l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, l’injure est définie comme « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait « .

La plainte devra être déposée dans les 3 mois de la diffusion des propos incriminés sous peine de prescription. Dans le cas où l’injure est commise envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, en raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap le délai de prescription est porté à un an (article 65-3 de la loi du 29 juillet 1881 modifié par la loi du 27 janvier 2014).

Quelques exemples (à ne pas suivre) :
– Traiter une personne dénommée de « sale c… » ou de « larbin » (TGI Paris 14/12/1988)
– Qualifier un confrère, quand on est écrivain de « pauvre étron » (TGI Paris 04/12/2008)
– Prétendre que son employeur est « nul et incompétent » (Cas. Soc 09/11/2004)

La jurisprudence n’autorise pas que l’on puisse tenter de rapporter la preuve de la vérité d’une injure (cas. Crim. 12/07/1971). Heureusement d’ailleurs, car il n’est probablement pas aisé de prouver que Monsieur [xxxxx] est un « pauvre c… » ; quoique…

Les sanctions
L’injure publique envers un particulier est un délit passible de 12.000 euros d’amende (article 33 alinéa 2 de la loi sur la presse)… et je n’évoque ici que l’injure simple ; si celle-ci est commise envers les mêmes personnes que celles visées par le délit de diffamation, la peine peut s’élever à 6 mois d’emprisonnement et de 22.500 euros d’amende.

Réagir vite…

On a longtemps cru (à tort) que le diffamé ou l’injurié qui avait laissé filer le délai de 3 mois / un an sans réagir pouvait engager une action en responsabilité sur la base de l’article 1382 du Code civil afin de demander des dommages-intérêts. Mais par une décision du 11 février 2010, la première chambre civile de la Cour de cassation a rappelé qu’en matière de diffamation ou d’injure, toute action en réparation fondée sur l’article 1382 du Code civil était exclue.

Le point de départ de ce délai de 3 mois / un an est la date de mise à disposition du public (premier acte de publication des propos incriminés).

Il en est peut-être parmi vous (parmi les tenaces qui se sont laissés entraîner jusqu’à la presque fin de ce billet) qui vont désormais hésiter à s’exprimer tant les interdits semblent nombreux.

Je vous rassure ; on peut tout écrire… si tant est que ce que l’on écrit est vrai et que l’on en détient la preuve  ; c’est ce que la jurisprudence appelle l’exception de vérité.

On peut en conséquence expliquer sur un forum ses déconvenues avec une entreprise

Il faudra seulement être en mesure de fournir tous les justificatifs à la juridiction qui le demanderait afin d’écarter l’incrimination de diffamation.

Si on souhaite préserver les lieux d’échanges que sont les blogs et les forums, il faut s’efforcer d’être constructif, c’est-à-dire faire valoir une opinion étayée par des faits dont la preuve est irréfutable.
Il faut aussi soigner son langage car la vulgarité et l’injure ne convainquent jamais et incommodent souvent.

Quel que soit l’objectif du message (apporter un éclairage nouveau, mettre en évidence des contradictions, dénoncer, railler,…), il est toujours possible, au moyen de mots polysémiques, de métaphores ou de paraboles… de s’exprimer en évitant les propos qui pourraient être qualifiés de répréhensibles.

Puisse ce petit billet vous aider à mieux percevoir les limites de la liberté d’expression telles qu’elles sont fixées actuellement par la législation et la jurisprudence.

3 réflexions sur « Diffamation et injures : mode d’emploi »

  1. merci Vanille de cet éclairage …
    quand aux mots polysémiques , aux métaphores ou paraboles , je vais d’abord me renseigner auprés du dictionnaire de la langue française pour voir si je peux y avoir accés .

    néanmoins nul besoin d’injurier quelqu’un pour juste se gausser . un trait dhumour bien placé suffit .

    ainsi un humoriste célèbre qui avait été condamné a verser une poignée de dollards à quelqu’un qu’il avait soi disant injurié, a par une coquille désastreuse compris qu’il lui devait quelques mollards….:biggrin:

  2. Je crois que, sur les forums, le risque le plus grand n’est pas l’injure (car les modérateurs la repèrent assez vite) mais la diffamation dont les intervenants n’ont parfois pas conscience de se rendre coupable. :clin-oeil:

  3. Bonjour Vanille et merci pour ce billet.

    Je rajouterais aussi que certains établissements se connectent régulièrement sur les forums, alors prudence.

    Bien cordialement

Les commentaires sont fermés.