Moi, j’irai pas faire pipi dans le bocal

Les parlementaires viennent de rentrer de vacances (comme vous le savez, ils sont tous domiciliés dans la zone C de la carte scolaire). Ils se sont remis au travail et l’Assemblée nationale vient de publier les propositions de loi enregistrées au cours de cette semaine.
Parmi ces dernières, je me permets de vous signaler un texte déposé par Valérie BOYER et certains de ses collègues, « visant à créer une consultation de longévité pour les personnes de 55 à 70 ans ayant cessé leur activité ».

Publication initiale le 17/05/2013

L’exposé des motifs de cette proposition de loi rappelle les enjeux en matière d’augmentation de l’espérance de vie des Français ainsi que la « nécessité de développer des politiques publiques ambitieuses de prévention ».

Cette « consultation de longévité » a pour objectif d’évaluer « les facteurs de risques personnels et professionnels de l’individu », d’établir « un programme personnalisé de prévention » et de « faire le point non seulement sur des problèmes médicaux, mais également sur d’éventuelles difficultés psychologiques et sociales susceptibles d’apparaître au cours de l’avancée en âge ».

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Quand je travaillais dans l’industrie pharmaceutique, sur la chaîne de production et dans une chaleur étouffante, des produits chimiques agressaient mon système respiratoire et provoquaient des démangeaisons. Ça ne préoccupait personne…

Quand je faisais les « trois-huit » et que je rentrais chez moi pour dormir à l’heure où les enfants partent pour l’école, le médecin m’avait prescrit des comprimés censés m’aider à trouver le sommeil. A ce traitement, il a rapidement dû ajouter d’autres médicaments pour soulager mes douleurs d’estomac car j’étais tellement assommée que je me dopais au café pour avoir la force d‘aller travailler. Ça ne préoccupait personne…

Quand j’ai été licenciée pour raisons économiques, j’ai retrouvé un emploi à 60 kilomètres de mon domicile et j’avais matin et soir 2h30 de transport en commun (les jours sans panne, sans incident, sans pluie, sans neige, sans feuilles mortes sur les voies, sans grève,…). Ça ne préoccupait personne…

Quand j’ai été victime d’un accident du travail, non déclaré comme tel sur l’insistance de mon chef d’équipe (ma période d’essai n’était pas terminée), je suis venue à l’entreprise chaque jour en dépit de déchirantes douleurs dorsales qui me tiraient les larmes des yeux. Ça ne préoccupait personne…

Durant des mois, faute de pouvoir m’offrir les soins nécessaires, je n’ai mangé que de la soupe et des yaourts tant j’avais mal aux dents. Ça ne préoccupait personne…

Quand j’ai dû faire des arbitrages entre le paiement de mon loyer et l’achat des 5 fruits et 5 légumes par jour, j’ai évidemment privilégié le chèque à mon bailleur et je ne mangeais que des pâtes. Ça ne préoccupait personne…

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Et l’on me propose aujourd’hui de me soumettre à une « consultation de longévité » alors que mes conditions de vie ont commencé à amenuiser ma bonne santé du jour où je suis entrée dans la vie active (et peut-être même avant)… De qui se moque-t-on ?

Ce dispositif ne concernerait que ceux qui ont cessé leur activité professionnelle. L’état de santé des autres (ceux qui travaillent) est censé être suivi par la médecine du travail (s’ils sont salariés). Avec une consultation tous les 24 mois (quand l’employeur n’a pas tenté d’échapper à ses obligations), il est vrai qu’il y a de quoi être rassuré.
Quant à ceux qui exercent une activité non salariée… qu’ils se débrouillent !

Il est bien difficile de croire à l’aspect préventif du dispositif quand on sait que l’accès aux soins médicaux reste un luxe pour de nombreuses personnes. Est-il honnête d’invoquer la prévention quand il s’agit de patients âgés de 55 à 70 ans qui, pour beaucoup, n’ont pas bénéficié au cours de leur vie active d’un suivi médical digne de ce nom ?

Ce texte précise que « la consultation de longévité est incontestablement l’un des outils permettant de vivre plus longtemps en bonne santé. »
Il faudrait demander aux familles des 1 122 personnes décédées des suites d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle (en 2011) ce qu’elles pensent de cette affirmation.

L’épouvantail du vieillissement de la population resurgit chaque fois qu’il est nécessaire de justifier une nouvelle augmentation de cotisation / taxe / impôt… sans que les cotisants / contribuables puissent obtenir la certitude que les fonds ainsi collectés sont affectés aux bénéficiaires désignés par la législation.
Il est aussi très utile pour faire admettre l’adoption d’un nouveau texte liberticide.

Il y a peu, on proposait un examen gynécologique obligatoire à toutes les jeunes femmes âgées de 16 à 18 ans. Aujourd’hui, ce sont les plus de 55 ans qui « les » intéressent.

Les comptables publics n’ont-ils pas d’autres occupations que de mettre toute la population en fiches ? Pourquoi effectuer des évaluations relativement à des soins qui ne pourront jamais être dispensés du fait de la situation précaire des patients et de l’absence de budget dédié ?

Si cette proposition devient loi, je refuserai de m’y soumettre car mon corps m’appartient. Il n’y a que moi qui peux décider de consulter si je l’estime nécessaire.

Les conditions de vie et de travail qui ont dégradé mon état de santé durant 60 ans n’ont jamais préoccupé personne (mis à part mes proches). Pourquoi devrai-je aujourd’hui me soumettre à ce dispositif irrespectueux de mon intimité et, par certains aspects, invasif ?

Je n’irai pas faire pipi dans le bocal. Je ne les laisserai pas prélever mon sang.
Je refuserai toutes les radiographies, mammographies, phlébographies, coloscopies, scintigraphies, urographies, écographies, cystoscopies,… et autres copies et graphies qui n’ont d’autre objectif que d’alimenter des bases de données.

Et je serais tentée d’ajouter :
Si vous me poursuivez
Prévenez vos gendarmes
Que je n’aurai pas d´armes
Et qu’ils pourront tirer (*)

 

(*) Boris Vian – Le Déserteur

 

4 réflexions sur « Moi, j’irai pas faire pipi dans le bocal »

  1. L’ironie susurre doucemet et justement à mon oreille…

    En guise de conclusion, je dirai que Boris Vian a utilement modifié le dernier paragraphe de sa chanson pour éviter la censure. Sa version était :
    « Prévenez les gendarmes,
    Que j’ai une arme,
    Et que je sais tirer ».

  2. Bonjour Vanille,
    Plutôt d’accord avec vous sur ce besoin de tous ces parlementaires de vouloir s’occuper de tout et de rien et qui oublient l’essentiel, que vous avez bien décrit. Cependant… si, alors que, marié et jeune père de famille, je tentais d’échapper au service militaire, alors obligatoire, en demandant à mon médecin de m’établir un certificat, ce dernier a eu la bonne idée de me faire passer une coloscopie (que vous semblez « dénigrer », mais je peux le comprendre). Et sans elle, je serais très certainement mort d’un cancer autour de ma 26ème année… J’en ai aujourd’hui 66 et, dans l’ensemble, je vis plutôt correctement. La médecine a fait beaucoup de progrès en 40 ans… un peu moins les parlementaires, il est vrai :mrgreen: .

    1. Je ne me permettrais pas de donner un avis sur la pertinence de ces différents examens médicaux (la médecine n’est pas mon métier).
      Je suis seulement consternée de constater que l’on laisse des gens vivre et travailler dans des conditions souvent indécentes… et qu’on a l’impertinence de leur parler de prévention quand ils cessent leur activité.
      Chacun doit pouvoir choisir librement de subir (ou pas) des examens médicaux. Enfin… c’est ainsi que cela doit se passer dans un pays démocratique. :wink:

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