Mon crédit, mon conjoint et moi… ou l’histoire d’un amendement éphémère

A la faculté de droit, on apprend aux étudiants que la lecture des débats parlementaires éclaire le juriste sur les intentions du législateur.

Ayant la chance d’avoir lu tous les débats parlementaires relatifs à la réforme du crédit à la consommation, permettez-moi de vous apporter, très modestement, un peu de lumière.

Intéressons-nous à l’amendement n°168 déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale par Mme Labrette-Ménager, députée de la Sarthe.

Cet amendement visait à modifier l’article 5 du projet de loi comme suit :

ARTICLE 5

Après l’alinéa 3, insérer les deux alinéas suivants :
Lorsque l’emprunteur est marié ou signataire d’un pacte civil de solidarité, la signature des deux époux est obligatoire pour garantir l’engagement solidaire des deux co-emprunteurs. Cette signature doit être apposée par chacun des époux.
Lorsque les remboursements du prêt sont prélevés sur un compte joint, les deux titulaires doivent obligatoirement avoir signé l’offre de prêt.

Cet amendement a été discuté et adopté lors de la 3ème séance du 8 avril 2010 (séance suspendue à 23h50, et reprise le vendredi 9 avril 2010 à 0h05).

Quelques heures plus tard, lors de la 2ème séance du 9 avril 2010, cet amendement a été remis en cause.

Extraits des débats :

M. le président. À l’article 5, adopté en première délibération par l’Assemblée, je suis saisi d’un amendement n° 2.
La parole est à Mme la ministre.

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. L’amendement n° 2 vise à supprimer les alinéas 4 et 5 de l’article 5. Ces dispositions ont donné lieu à d’importants débats hier. Les conséquences du vote de l’amendement n°168 sont les suivantes. D’une part, si les conjoints domicilient le prélèvement du prêt sur un compte joint, il devient obligatoire que tous deux soient présents pour signer le prêt. Aucun des deux conjoints ne peut plus agir seul, librement, à l’égard d’un compte joint : curieux progrès.

Dans tous les autres cas – lorsque les deux conjoints ne sont pas cosignataires et codétenteurs du compte –, un crédit n’engagera les deux conjoints que s’ils le signent également. En l’état de l’article 220 du code civil, les deux conjoints seront engagés même si un seul des deux conjoints signe, dès lors qu’il s’agit des dettes du ménage ou des dettes d’éducation, c’est-à-dire des dépenses qui sont en proportion avec les besoins du ménage, ce qui est à peu près la logique du couple et celle du mariage.

Ce dispositif écarte l’application de l’article 220 : si un seul des conjoints signe et qu’il ne fait pas domicilier les prélèvements sur un compte joint, il n’engage pas l’autre. C’est une curieuse conception des liens du mariage, et je préfère la solidarité entre époux qui est instituée en vertu de l’article 220.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C’est l’article qui sera lu par le maire au moment du mariage !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Le président Ollier le rappelle très justement : grâce aux propositions d’Éric Diard, rapporteur pour avis de la commission des lois, le dispositif de l’article 220 du code civil sera lu à l’occasion de chaque cérémonie de mariage. Par ailleurs j’ai pris, au banc, l’engagement, de modifier le décret définissant l’ensemble des documents qui doivent être communiqués aux futurs époux dans la préparation de la formation des liens du mariage civil.
Je crois que nous remplissons l’objectif, que nous avons tous partagé sur ces bancs, consistant à rappeler et le principe de solidarité, et les limites de la solidarité. Aller au–delà serait, me semble-t-il, retourner bien loin en arrière.

. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Loos, rapporteur. Avis favorable.

(L’amendement n° 2 est adopté.)

Et c’est ainsi que l’on a tordu le cou à l’amendement n°168 (voté quelques heures auparavant) qui exigeait la signature des deux conjoints sur tout contrat de crédit à la consommation.

On peut se demander, si cet amendement avait été définitivement adopté

— Ce qu’il serait advenu des contrats de crédit souscrits à distance puisqu’il est impossible de savoir qui a signé le contrat retourné au prêteur par courrier postal

— Quelles incidences il aurait eu sur certains achats qui ne sont pas toujours effectués à deux (paiement d’un lave-linge ou d’un réfrigérateur en 4 fois sans frais, par exemple). J’en connais certains qui auraient dû laver leurs chaussettes dans le lavabo en attendant que leur conjoint(e) revienne de vacances ou de séminaire…

— Si il n’aurait pas été nécessaire de revoir les dispositions du Code civil relatives à la solidarité entre conjoints mariés ou pacsés, celles relatives au régime de la séparation de biens,… bref, tout un pan du Code civil.

Signalons également que la disposition relative aux prélèvements sur un compte joint dépasse de loin les relations entre conjoints puisqu’il est possible de se faire ouvrir un compte joint avec n’importe quelle personne qu’il s’agisse du conjoint, d’un autre membre de la famille… ou d’un tiers.

Des amendements du type de celui que nous venons d’évoquer resurgissent régulièrement lors des débats parlementaires.

A l’origine de chaque apparition, il y a une histoire à faire pleurer dans les chaumières comme celle racontée par M. Jean Gaubert lors de la 3ème séance du 8 avril 2010 et que je retranscris ci-dessous :

Une dame avait découvert que son mari avait contracté une multitude de crédits à la consommation et s’était rendu insolvable. Après avoir divorcé, elle était restée redevable des crédits souscrits par son mari. Elle s’est ensuite remariée mais est malheureusement morte quelque temps après. Eh bien, son nouveau mari est considéré comme responsable des dettes contractées par l’ancien époux !

Nous partageons le sentiment de cet honorable parlementaire et nous considérerons nous aussi que cette histoire est réellement dramatique… sauf qu’elle n’est pas induite par une législation injuste et inadaptée mais plutôt par une mauvaise interprétation, un mépris, voire une violation des textes opérés par certains organismes en charge du recouvrement des créances.

Rappelons en effet qu’une personne n’est pas engagée par les crédits souscrits par son conjoint seul (sauf si il est prouvé qu’il s’agit de sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante – cf. article 220 du code civil) ; cette solidarité n’a donc rien d’automatique et il faut impérativement qu’elle soit reconnue par une décision de justice.

Nous savons tous que certains créanciers font fi des dispositions protégeant le conjoint non signataire et demandent paiement aux deux personnes sans distinction (ça ne coûte rien d’essayer, pas vrai ?).

Quant aux effets du remariage de cette femme, rappelons aussi qu’il est juridiquement impossible que le nouveau conjoint puisse être inquiété de quelque manière que ce soit au titre des dettes de sa nouvelle épouse (on épouse une personne, pas ses dettes !…).

Si, au lieu de proposer une modification la loi, on s’évertuait plutôt à faire appliquer les textes existants en punissant notamment le harcèlement mis en oeuvre par certains créanciers à l’encontre de tout l’entourage de l’emprunteur défaillant (et pas seulement de son conjoint)… on aurait fait déjà un grand progrès.

La sagesse recommande de disposer d’une réelle connaissance du droit existant avant de formuler des propositions aussi fantaisistes qu’inapplicables.

Vous avez bien noté que l’article 220 du Code civil (reproduit ci-dessous à l’attention de ceux qui n’ont pas prévu de se marier prochainement) sera lu par le maire lors de la célébration de chaque mariage ; Madame LAGARDE s’y est engagée.

J’ajoute (ce que le maire ne dira probablement pas) que cette solidarité s’applique aussi aux dettes fiscales du foyer (impôt sur le revenu, taxe d’habitation, ISF,…). La même disposition étant prévue pour les signataires d’un PACS.

En ce qui concerne ceux qui persisteraient dans leur projet de mariage ou de PACS (pour les autres, il est trop tard)… j’espère bien qu’ils m’inviteront à la fête.

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Article 220 du Code civil

Chacun des époux a pouvoir pour passer seul les contrats qui ont pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants : toute dette ainsi contractée par l’un oblige l’autre solidairement.
La solidarité n’a pas lieu, néanmoins, pour des dépenses manifestement excessives, eu égard au train de vie du ménage, à l’utilité ou à l’inutilité de l’opération, à la bonne ou mauvaise foi du tiers contractant.
Elle n’a pas lieu non plus, s’ils n’ont été conclus du consentement des deux époux, pour les achats à tempérament ni pour les emprunts à moins que ces derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante.

5 réflexions sur « Mon crédit, mon conjoint et moi… ou l’histoire d’un amendement éphémère »

  1. « La solidarité n’a pas lieu, néanmoins, pour des dépenses manifestement excessives »
    qu’appelle t’on manifestement excessive , cela reste à définir ou bien cela a t’il déjà été évalué par ailleurs? :clin-oeil:

    quoiqu’il en soit je vais de ce pas , faire un petit rappel de l’article 220 du code civil , pour ma chère et tendre épouse :biggrin::biggrin:

  2. Les dépenses manifestement excessives sont appréciées au cas par cas par les magistrats. L’excès ne se situant pas au même niveau selon le revenu de la famille…

  3. Merci pour l’analyse et le ton employé (et les conseils toujours pratiques de Buffeto ;) ).

    Il faudrait que tu renommes ton blog « les chroniques de Vanille » ou « Vanille et le dessous des lois ». Qu’en penses-tu ?

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