Locataires escrocs et logements indignes

Alors que le contentieux locatif enregistre une croissance inquiétante, Dominique PERBEN, député du Rhône, a déposé le 20/12/2010 sur le bureau de l’Assemblé nationale une proposition de loi visant à réserver un sort particulier aux locataires reconnus coupables d’escroquerie.

Ces locataires pourraient être privés du bénéfice des délais habituellement consentis après la résiliation du bail pour impayés. Leurs coordonnées seraient susceptibles d’être enregistrées dans un fichier.

Contentieux locatif : état des lieux

L’exposé des motifs de la proposition de loi fait état pour 2009 de plus de 130.000 contentieux locatifs avec demande de délivrance de titre exécutoire (soit une hausse de 38 % sur 10 ans) parmi lesquels
— Plus de 100.000 ont donné lieu à une décision de justice prononçant l’expulsion,
— Plus de 25.000 ont fait l’objet d’une demande de concours de la force publique (dans près d’un cas sur 2, il y a eu intervention effective de la force publique).

Les statistiques du Ministère de la justice recensent pour 2008 près de 180.000 demandes introduites devant les tribunaux d’instance en matière de contentieux locatif.
— Plus d’un tiers de ces demandes relèvent de la procédure des référés (procédure d’urgence),
— Plus de 80% d’entre elles émanent des bailleurs.

Selon les éléments mentionnés dans la proposition de loi, le coût d’une procédure d’expulsion ordinaire s’élèverait, pour le bailleur, à environ 3.500 euros ; somme à laquelle il convient d’ajouter le montant des loyers et charges diverses impayés.

Notons également que, compte tenu des trêves hivernales, le délai nécessaire pour reprendre possession du logement et l’offrir à nouveau à la location peut atteindre 18 mois.

Objectifs du projet de loi

L’explosion du contentieux locatif tend à créer un climat d’insécurité dans les relations bailleur/locataire.
Le bailleur, craignant de se trouver dans une situation financière difficile du fait de la défaillance de son locataire, devient de plus en plus exigeant sur la solvabilité du locataire et les garanties fournies.

Il convient donc de restaurer la confiance et d’opérer un réajustement législatif à visée sociale.
Ce réajustement consiste à distinguer
— le locataire malchanceux du locataire reconnu coupable d’escroquerie,
— le bailleur honnête du propriétaire qui donne en location un logement indigne.

Moyens proposés par le projet de loi

— Dès qu’un locataire aura été reconnu (par une décision de justice, bien évidemment) coupable d’escroquerie, la procédure classique de recouvrement des loyers et l’octroi des délais prévus par la loi ne s’appliqueront plus (seul le délai incompressible de 2 mois après le jugement prononçant l’expulsion sera maintenu)

— Du fait de la reconnaissance de ce délit, le locataire sera inscrit dans un fichier (à constituer), géré par l’Agence nationale pour l’information sur le logement (ANIL)

— Dans le cas où l’escroquerie se révèle être une récidive, l’expulsion pourra être immédiatement prononcée en préfecture ; seul un délai incompressible d’un mois sera respecté.

— L’ANIL aura également en charge la gestion d’un fichier (à constituer) des bailleurs condamnés dans le cadre des infractions en matière d’habitat indigne

Qu’est-ce que l’escroquerie ?

L’escroquerie est un délit prévu par l’article 313-1 du code pénal.
L’escroquerie est le fait, soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge.
L’escroquerie est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 375.000 euros d’amende
.

Qu’est-ce qu’un logement indigne ?

L’article 4 de la loi n°90-449 du 31 mai 1990 (modifié en 2010) visant à la mise en œuvre du droit au logement apporte la précision suivante :
Constituent un habitat indigne les locaux ou installations utilisés aux fins d’habitation et impropres par nature à cet usage, ainsi que les logements dont l’état, ou celui du bâtiment dans lequel ils sont situés, expose les occupants à des risques manifestes pouvant porter atteinte à leur sécurité physique ou à leur santé.

L’article 225-14 du Code pénal prévoit quant à lui que Le fait de soumettre une personne, dont la vulnérabilité ou l’état de dépendance sont apparents ou connus de l’auteur, à des conditions de travail ou d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 150.000 euros d’amende.

En pratique

— Solidarité et maintien dans les lieux

Le code civil crée une solidarité pour le paiement des loyers (assimilés à une dette ménagère) pour les personnes mariées (article 220) et pour les partenaires d’un PACS (article 515-4) quand bien même seul l’un des conjoints aurait signé le bail.
Cette solidarité ne peut concerner d’autres personnes (concubins, parents/enfants, frères/sœurs,…) que si celles-ci sont signataires du bail.

Dans le cas où seul l’un des conjoints a signé le bail, la loi n°89-462 du 06/07/1989 (article 14) crée, en cas de décès du titulaire du bail ou d’abandon du logement par ce dernier, un droit au maintien dans les lieux au profit du conjoint marié ou du partenaire d’un PACS (non signataire du bail).

Ce droit bénéficie également au concubin, aux ascendants, descendants et personnes à charge du titulaire du bail sous la condition que ces personnes aient vécu avec lui durant au moins un an avant l’événement (décès ou abandon du domicile).

— Responsabilité pénale

En vertu de l’article 121-1 du Code pénal, Nul n’est responsable pénalement que de son propre fait.
En conséquence, la condamnation pénale ne pourra être prononcée qu’à l’encontre de la personne reconnue coupable d’escroquerie ; le co-titulaire du bail et/ou les autres personnes vivant au domicile du condamné ne pourront se voir imposer la procédure d’expulsion envisagée dans cette proposition de loi que si elles sont (elles aussi) condamnées pour escroquerie.

— Condamnation civile / condamnation pénale

L’obtention d’une décision pénale a, elle aussi, un coût et n’a rien d’instantané. Les statistiques du Ministère de la justice évaluaient en 2008 la durée d’une telle procédure (condamnation pour escroquerie) à 11,4 mois (moyenne nationale).

De plus, l’obtention d’une condamnation pénale ne dispense pas le bailleur d’engager une action civile afin de faire rendre un jugement condamnant le locataire à payer les loyers et charges dus.

— 2 fichiers recensant des condamnations pénales

Dans l’hypothèse ou cette proposition serait intégrée à notre droit national, il appartiendrait à différentes instances, et notamment à la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) de se prononcer sur la pertinence de la création de tels fichiers ainsi que sur la nature des garanties à mettre en œuvre relativement à la protection des données personnelles des personnes inscrites.

En conclusion

Les bailleurs apprécieront l’intention louable mais il faut reconnaître, une fois de plus, que cette proposition aurait mérité, préalablement à sa publication, d’être étudiée par des juristes afin que soient précisées son articulation et sa cohérence avec le droit français existant.