Ma femme a souscrit 25 crédits !

Comme on le dit souvent (et même si cette formule n’est pas reprise expressément dans le code civil), quand on est marié, c’est pour le meilleur… et pour le pire.
Que les époux aient souhaité ou pas mettre en place un contrat de mariage, ils doivent se soumettre à toutes les obligations prévues par le code civil.
Parmi ses différentes obligations figure celle de la solidarité des dettes ménagères mentionnée à l’article 220 qui concerne tous les époux quel que soit leur régime matrimonial.
Publication initiale le 22/03/2012 – Dernière modification le 23/11/2012

Que prévoit l’article 220 du code civil ?

Chacun des époux a pouvoir pour passer seul les contrats qui ont pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants : toute dette ainsi contractée par l’un oblige l’autre solidairement.
La solidarité n’a pas lieu, néanmoins, pour des dépenses manifestement excessives, eu égard au train de vie du ménage, à l’utilité ou à l’inutilité de l’opération, à la bonne ou mauvaise foi du tiers contractant.
Elle n’a pas lieu non plus, s’ils n’ont été conclus du consentement des deux époux, pour les achats à tempérament ni pour les emprunts à moins que ces derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante.

Le principe est donc que chacun des époux est seul responsable des prêts qu’il obtient sauf si ceux-ci portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante.

La notion de sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante n’étant définie par aucun texte, il appartient aux magistrats, au cas par cas, de déterminer si l’emprunt souscrit par un époux seul (sans la signature de son conjoint) entre dans ce cadre et peut en conséquence engager l’époux non signataire du contrat de prêt.

Signalons également que les partenaires pacsés sont tenus dans les mêmes termes en vertu de l’article 515-4 du code civil.

Quelle interprétation les juridictions font de cet article ?

La notion de sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante s’apprécie selon les revenus de la famille et selon la connaissance que l’époux non signataire du contrat de prêt avait de l’opération.

Est ainsi considéré comme modeste un prêt de 20 000 FRF dont le montant a été versé sur le compte joint des époux qui disposent de ressources mensuelles de 12 000 FRF (Cas. Civ. 1ère 25/06/2009 – n°08-12101).

N’est pas une somme modeste nécessaire aux besoins de la vie courante un prêt de 64.000 € pour une famille dont les revenus mensuels s’élèvent à 5.600 € (CA Limoges Chb civ. 22/06/2011 – n°10-00595).

Une ouverture de crédit de 1 000 €, souscrite par Monsieur qui a aussi imité la signature de Madame, est une somme modeste d’autant que les fonds ont été virés sur le compte joint des époux. Les deux époux seront donc condamnés à payer cette somme solidairement (CA Limoges Chb civ. 22/04/2011 – n°09-00440).

Les magistrats cherchent aussi à savoir si l’époux qui n’a pas signé le contrat avait néanmoins connaissance de celui-ci… sans que ce soit dégagée une jurisprudence unique au niveau des cours d’appel.

Le fait que le conjoint non signataire d’un prêt ait eu connaissance de celui-ci et en ait profité ne permet pas l’application des dispositions de l’article 220, alinéa 3, du Code Civil.
(CA Limoges Chb civ. 2 25/11/2008 – n°07-00945).

Les relevés bancaires sur lesquels apparaissent les prélèvements au titre du prêt litigieux étant au nom des deux conjoints, Monsieur Z… ne saurait valablement soutenir qu’il n’en a jamais eu connaissance même si son épouse gérait à l’époque les comptes de la vie commune ; en conséquence, les époux sont condamnés solidairement (CA Rouen 04/09/2007 – n°06/1311).

L’histoire de Monsieur X et Madame Y

Dans le dossier examiné par la Cour de cassation le 14 mars 2012 (Civ. 1ère – n° 11-15369), Monsieur X et Madame Y étaient mariés sous le régime légal de la communauté réduite aux acquêts.

Madame Y a contracté seule 25 prêts à la consommation en imitant la signature de son époux sur les contrats de manière à faire croire que les deux époux étaient coemprunteurs. Elle s’est également organisée afin que Monsieur X reste dans l’ignorance de l’existence de ces différents prêts.

Lorsque Monsieur X a eu connaissance de l’étendue de l’endettement de son ménage, il a demandé à bénéficier de l’ouverture d’une procédure de surendettement. Le dossier a été jugé recevable et les 25 crédits ont fait l’objet d’un plan de remboursement.

Lors du prononcé du divorce des époux, Monsieur X a demandé que le montant des 25 prêts remboursés par la communauté dans le cadre du plan de surendettement soit porté au passif personnel de son ex-épouse.
Madame Y considérait, quant à elle, que son époux admettait que les 25 prêts avaient été souscrits pour les besoin du ménage puisque Monsieur X avait accepté de les honorer dans le cadre du plan de surendettement.

La Cour d’appel de Douai (29 mars 2010) a accueilli la demande de Monsieur X en considérant que, comme Madame Y ne donnait pas d’explication précise sur l’affectation de ces prêts, ils ne pouvaient être considérés comme souscrits dans l’intérêt de la communauté, ajoutant, qu’en ayant imité la signature de son conjoint, madame Y avait commis une faute de gestion.

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par Madame Y à l’encontre de la décision de la Cour d’appel :

Mais attendu qu’après avoir relevé qu’en souscrivant les vingt-cinq prêts à la consommation, l’épouse avait, en sus de l’apposition de sa signature, imité celle de son conjoint et pris des dispositions pour le laisser dans l’ignorance de cet endettement croissant, les juges d’appel ont constaté qu’elle ne donnait aucune explication précise quant à l’objet de ces prêts ; qu’en l’état de ces énonciations, la cour d’appel, qui a caractérisé la faute de gestion commise par l’épouse, a légalement justifié sa décision sans encourir les griefs du moyen ; que celui-ci ne saurait donc être accueilli ;

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Il est important de noter

  • Que cette décision confirme qu’en cas de conflit entre les époux, il appartient au souscripteur des contrats de crédit de prouver que les sommes empruntées l’ont été dans l’intérêt du ménage et qu’elles constituent des dettes ménagères au sens de l’article 220 du code civil.
  • Que la banque qui entend poursuivre les deux époux, quand un seul est signataire du contrat de prêt, doit apporter la preuve que les sommes sont modestes et nécessaires aux besoins de la vie courante. La demande de la banque sera plus facilement accueillie par les magistrats si les fonds prêtés ont été portés au crédit d’un compte joint entre les époux, si les échéances du prêt sont prélevées sur ce compte joint et si le ratio [revenus de la famille / montant de l’emprunt] est faible.
  • Qu’il est vivement conseillé à l’époux, appelé en paiement des sommes dues au titre d’un contrat de prêt sur lequel sa signature a été imitée, de déposer plainte contre X (car on ne sait pas a priori qui est l’auteur de la signature contrefaite) pour faux et usage de faux.
  • Qu’un concubin n’est jamais tenu au remboursement d’une dette contractée par l’autre sauf s’il a lui-même signé le contrat. Le fait qu’il ait eu connaissance de ce contrat destiné à financer des achats durant la vie du couple est sans incidence. Voir Cas. Civ. 1ère 07/11/2012 – n°11-25430.

2 réflexions sur « Ma femme a souscrit 25 crédits ! »

  1. BonjourVanille

    J’ai vu cet arrêt aussi.
    L’autre époux, peut-il invoquer la faute de gestion de l’époux décédé dans le cadre d’une succession avec des crédits à la signature imitée et qui ne concernent pas les besoins du ménage.
    Merci

    1. Juridiquement, l’époux victime peut toujours invoquer la faute de gestion de son conjoint (que le conjoint soit vivant ou décédé) mais
      – Il faudra prouver que ces prêts n’ont pas été engagés dans l’intérêt du ménage (ou de la communauté si ce régime était celui des époux) ; c’est-à-dire prouver l’affectation des fonds (à quoi ont servi ces crédits ?)
      – Si la faute de l’emprunteur décédé est reconnue, la dette sera à la charge de sa succession. Il est possible que cette situation nuise aux héritiers de la personne (conjoint, enfants,…) qui devront alors renoncer à la succession.

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