Auto-entrepreneurs : bientôt la fin des chouchous ?

Ce que vous lirez ici, vous ne le lirez nulle part ailleurs.
Personne (ou presque) n’ose dire qu’il est pour le moins inopportun de consentir des avantages sociaux et fiscaux et des dispenses de contrôles à une catégorie d’entrepreneurs qui n’est pas en mesure de peser, même incidemment, sur l’économie de notre pays… Le régime fiscal de l’auto-entreprise est souvent considéré comme inéquitable notamment par d’autres chefs d’entreprise qui travaillent dans les mêmes conditions de concurrence et avec des contraintes parfois beaucoup plus fortes.

Il était urgent qu’un organisme public se penche sur cette situation ubuesque ; l’Inspection générale des finances (IGF) et l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) émettent d’audacieuses propositions à ce sujet dans un rapport publié la semaine dernière.

Publication initiale le 16/04/2013 – Dernière modification le 03/09/2013

Tu fais quoi, dans la vie ? Je suis auto-entrepreneur !
Un autre vous aurait répondu qu’il est traducteur, plombier, éleveur d’autruches, professeur de guarani,…
On pourrait croire qu’il existe un nouveau métier : celui d’auto-entrepreneur ; métier d’avenir, si l’on en croit les médias.

Et pourtant, l’auto-entreprise n’est qu’un régime fiscal parmi d’autres et qui concerne (presque) toutes les activités exercées par un entrepreneur individuel.

Ce régime (qui résulte de l’une des dispositions de la loi de modernisation de l’économie de 2008) a été mis en place en 2009 avec pour objectif de faciliter la création d’entreprises ; l’enregistrement de l’entrepreneur s’effectuant grâce à quelques clics sur un site internet dédié.

Quand une personne décide de créer une entreprise, elle peut constituer une société (SA, SARL,…) mais elle peut aussi créer une entreprise individuelle (une affaire en nom propre, comme on dit aussi).
Ces entrepreneurs individuels appartiennent nécessairement à l’une des 4 catégories suivantes : commerçants, artisans, agriculteurs ou professions libérales.

Ces personnes doivent choisir un régime fiscal parmi les trois régimes existants (voir comparatif ici) :

  1. Le régime de l’auto-entreprise
  2. Le régime de la micro-entreprise classique (régime forfaitaire)
  3. Le régime de l’entreprise individuelle classique (régime réel)

Les régimes 1 et 2 ont présentent beaucoup de similitudes :
— Ils font l’objet de plafonds communs de chiffre d’affaires à ne pas dépasser (sous peine de migrer obligatoirement vers le régime réel).
— Les entreprises qui les ont choisis ne sont jamais assujetties à la TVA (elles n’en facturent pas et n’en récupèrent pas non plus sur leurs achats).
— Ils sont régis par les mêmes modalités pour ce qui concerne la détermination du revenu imposable. Celui-ci est calculé sur la base d’un abattement forfaitaire sur le chiffre d’affaires, spécifique à chaque catégorie d’entrepreneur (commerçant, artisan, profession libérale… puisque l’agriculteur en est pour l’instant exclu).

Puisque ces 2 régimes présentent tant de ressemblances, comment peut-on expliquer que la législation ait accordé tous ces privilèges (que nous allons passer en revue) à ceux qui ont choisi le régime fiscal de l’auto-entreprise ?

Pas de chiffre d’affaires => pas de charges sociales

Il s’agissait là de la principale innovation de ce régime fiscal/social alors que les autres entrepreneurs individuels s’acquittent de cotisations minimales en cas d’absence de résultat (ou même en cas de résultat négatif pour ceux qui ont choisi le régime du réel). Un auto-entrepreneur ne réglant pas de cotisations sociales n’est pourtant pas exclu du bénéfice des prestations sociales (indemnités journalières en cas de maladie ou de maternité). Le rapport de l’IGF propose que la cotisation minimale soit étendue à tous les travailleurs indépendants afin de faire cesser cet effet d’aubaine.

Rappelons également que, jusqu’à 2010, il était possible aux auto-entrepreneurs de valider des trimestres de retraite gratuitement (sans cotiser).

Cotisations sociales minorées

Pendant plusieurs années, les cotisations sociales des auto-entrepreneurs ont été moins élevées que celles dont s’acquittent les entrepreneurs ayant choisi l’un des deux autres régimes fiscaux. Le différentiel de cotisations était pris en charge par l’État au titre du programme 103 « accompagnement des mutations économiques et développement de l’emploi ».
La loi de finances de 2013 a mis fin à cette différence ; désormais, tous les entrepreneurs individuels, quelque soit leur régime fiscal, ont les mêmes taux de cotisations sociales.

Exonération de contribution foncière des entreprises (CFE)

Les auto-entrepreneurs sont dispensés de s’acquitter de la CFE (ex-taxe professionnelle) l’année de la création et les deux années suivantes. Ce dispositif ayant été prorogé d’un an, les auto-entrepreneurs inscrits en 2009 qui auraient dû payer la CFE en 2012 ont donc été exonérés une année de plus.
Afin de faire disparaître ce qu’elle qualifie de « réelle distorsion », l’IGF propose que l’exonération soit réservée aux chiffres d’affaires inférieurs à 7 500 € par an.
On peut néanmoins se demander pourquoi cette proposition ne serait pas étendue à tous les entrepreneurs individuels quel que soit le régime fiscal qu’ils ont choisi.

Dispense d’immatriculation au registre du commerce (RCS) et au répertoire des métiers (RM)

À l’origine du dispositif, en 2009, les auto-entrepreneurs était dispensés de s’inscrire au RCS (pour les commerçants) et au RM (pour les artisans). Il s’agissait là d’éviter des frais d’immatriculation aux auto-entrepreneurs, mais cette dispense a de nombreux effets pervers.
Ce sont habituellement ces instances qui contrôlent la qualification des entrepreneurs dans nombre de professions qui ne peuvent être exercées que par des personnes titulaires de certains diplômes. Parmi ces professions, on compte la coiffure, la réparation des véhicules, le ramonage, la réalisation de prothèses dentaires,…

Depuis 2010, les auto-entrepreneurs artisans à titre principal (n’exerçant aucune autre activité en parallèle) peuvent s’immatriculer gratuitement au RM. Ces procédures font néanmoins échapper l’auto-entrepreneur au stage préalable à l’immatriculation (« stage de préparation à l’installation ») dont beaucoup d’entrepreneurs tireraient pourtant grand profit.

Assurance responsabilité civile professionnelle : à vérifier

Certaines professions y sont obligatoirement soumises, notamment dans le domaine de l’artisanat. L’immatriculation au répertoire des métiers permettait une sensibilisation à cette question…
Le rapport de l’IGF propose d’exiger une attestation d’assurance si celle-ci est requise par la loi ; l’immatriculation de l’auto-entrepreneur serait suspendue à la production de ce document.

Déclaration de chiffre d’affaires : enfin obligatoire

Lors de la mise en place de loi, l’auto-entrepreneur pouvait déclarer le chiffre d’affaires réalisé, chaque mois ou chaque trimestre par internet. Sauf qu’on ne pouvait pas savoir si un auto-entrepreneur qui n’effectuait pas de déclaration était un entrepreneur sans travail, un étourdi… ou un fraudeur.

La déclaration est donc devenue obligatoire (même pour un chiffre d’affaires égal à zéro) depuis le 01/01/2011. La sanction de cette absence de déclaration est une pénalité forfaitaire correspondant à 1,50% du plafond mensuel de la sécurité sociale soit… 47 euros.

Différentes vagues de contrôles organisées par l’URSSAF font état de redressements dans 30% des dossiers analysés avec, dans 85% des cas, des dissimulations de recettes.

Contribution à la formation professionnelle : généralisation récente

Tous les travailleurs indépendants doivent s’acquitter d’une contribution à la formation professionnelle. Pour les auto-entrepreneurs, cette obligation n’existe que depuis 2011.

 

Ce dispositif a été mis en place en 2009 sans étude des impacts possibles et sans réflexion préalable sur la nature des contrôles à mettre en place pour assurer son bon fonctionnement, même si la législation, au fil des années, s’est efforcée d’encadrer un peu mieux ce régime fiscal.

Créer son entreprise en quelques clics nécessite souvent, derrière la page web, une armée de personnes compétentes pour mettre en forme le dossier, traquer les étourderies et les incohérences.

Il faut par exemple déterminer la catégorie à laquelle appartient l’entrepreneur (commerçant / artisan ; prestataire de services dépendant pour sa retraite du RSI ou de la CIPAV).
Il faut aussi savoir si cette activité sera exercée à titre principal ou accessoire (« complémentaire » comme le prévoit maintenant le formulaire électronique) car les obligations de l’entrepreneur ne seront pas les mêmes.

Si l’activité est accessoire, l’auto-entrepreneur reste rattaché à son régime social d’origine Selon les estimations du RSI, seuls 60% des auto-entrepreneurs se sont enregistrés pour une activité déclarée principale.

Les contrôles permettent aussi de vérifier si l’entrepreneur existe. Celui-ci doit mentionner sur le dossier d’inscription son NIR (numéro d’inscription au répertoire des personnes physiques ou numéro de sécurité sociale) mais il peut aussi cocher la case « ce numéro ne m’a jamais été attribué ».

Quand un particulier ne règle pas ses échéances de prêt, sa banque l’inscrit au FICP. La Banque de France, gestionnaire de ce fichier, effectue systématiquement un contrôle auprès de l’INSEE afin de s’assurer que le débiteur existe. Si l’INSEE ne « connaît » pas cette personne, la demande d’inscription est rejetée car la Banque de France n’enregistre pas dans ses fichiers… des débiteurs fantômes.

En matière de création d’entreprise sous le régime fiscal de l’auto-entreprise, ce contrôle n’existe pas. Ainsi, dans le stock des auto-entrepreneurs du RSI à fin 2011, plus de 11% des entrepreneurs étaient dépourvus de NIR (80.000 personnes). On imagine comme il est complexe d’enregistrer l’entreprise et d’effectuer les contrôles d’usage… lorsqu’il s’agit d’un entrepreneur fantôme.

Le rapport propose de rendre obligatoires certaines données lors de l’inscription (date et lieu de naissance, NIR, statut du déclarant avant son inscription, nom et numéro SIREN de l’employeur quand l’entrepreneur était auparavant salarié).

Que pèsent les auto-entrepreneurs dans l’économie ?

Rien !… Pourtant, ils sont nombreux. Si tous les auto-entrepreneurs décidaient d’organiser une manifestation devant le palais Bourbon, les forces de l’ordre auraient du souci à se faire… car ils étaient 828 400 à fin août 2012.

Ils ont réalisé à eux tous un chiffre d’affaires de plus de cinq milliards d’euros à fin août 2012, soit un peu plus de 5 000 euros de chiffre d’affaires par an et par personne (j’ai bien dit chiffre d’affaires car vous savez comme moi qu’il ne faut pas confondre chiffre d’affaires et bénéfice). De ce chiffre d’affaires, il faut déduire pour déterminer un revenu, (plus ou moins) 20% de charges sociales ainsi que toutes les charges liées à l’activité.

Cinq milliards d’euros représentent 0,23% de notre PIB. Rappelons d’autre part qu’il existe en France un million d’entreprises artisanales qui réalisent 300 milliards de chiffre d’affaires et 280 000 professionnels libéraux qui totalisent 26 milliards de chiffre d’affaires.

Plus de 50% des auto-entrepreneurs ne réalisent même pas un euro de chiffre d’affaires (il s’agit d’une constante depuis 2009). Seuls 377 000 d’entre eux facturent : 40% réalisent en moyenne un chiffre d’affaires inférieur à 1 500 euros par trimestre et 40% ont un chiffre d’affaires compris entre 1 501 et 5 000 euros par trimestre.

On ne peut pas considérer que l’entrée dans ce régime fiscal s’apparente à une création d’entreprise ; il s’agit simplement de l’officialisation d’une activité professionnelle.

En 2011, seuls 2,9% des 290 000 radiations résultent d’un dépassement du chiffre d’affaires plafond et de la migration vers un régime fiscal de droit commun.
Nous sommes bien loin du dispositif permettant de tester son projet avant de passer à l’entreprise « classique ».

Compte tenu des plafonds de chiffre d’affaires à ne pas dépasser pour conserver le bénéfice de ce régime (81 500 euros pour les activités de vente ; 32 600 euros pour les prestations de services et activités libérales), il ne faut pas compter sur les auto-entrepreneurs pour créer des emplois (à part le leur, bien sûr ; enfin… presque).

Il ne viendrait à personne l’idée de contester qu’il faut prévoir, pour les personnes qui exercent une activité indépendante de manière accessoire/complémentaire, des procédures souples et faciles à mettre en œuvre.

Il semble logique de ne pas faire peser des contraintes administratives lourdes sur les retraités, les étudiants ou les salariés qui souhaitent avoir une activité annexe. Faut-il encore se donner les moyens de distinguer le principal de l’accessoire.

Les 28 propositions contenues dans le rapport de l’IGF, ouvrent peut-être la voie à la mise en place d’outils de suivi et de contrôle de ce régime fiscal et, au minimum, à la perspective du rétablissement d’une certaine équité entre tous les entrepreneurs individuels.

 

Tous les chiffres sont extraits du rapport lui-même.

 

21/08/2013 – Voir sur le site du Ministère de l’artisanat, du commerce et du tourisme, le dossier de presse du projet de loi relatif à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises.

22/08/2013Voir Auto-entrepreneurs : il nous manque le décodeur…

03/09/2013 – Voir le projet de loi et son étude d’impact publiés ce jour (et le dossier législatif pour suivre l’avancement des débats).