Est-ce la société que nous voulons ?

C’est par cette question que certains parlementaires ont réagi face à une proposition de loi qui vise à autoriser (avec des restrictions) le cumul emploi-retraite pour les bénéficiaires de l’ASPA (ex minimum vieillesse).
Le débat semble se polariser sur la question de l’équité alors qu’il nous interpelle avec acuité sur la société de demain et la place qu’occupera le travail… jusqu’aux derniers jours de notre vie.

Publication initiale le 01/05/2013

Il y a presque un an (le 24 mai 2012), Isabelle Debré déposait sur le bureau du Sénat une proposition de loi visant à autoriser le cumul de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) avec des revenus professionnels.
Ce texte, qui a été adopté par le Sénat le 31 janvier 2013 (par 183 voix contre 20), a fait l’objet d’une discussion en séance publique à l’Assemblée nationale le 25 avril 2013.

À l’issue de cette discussion, le texte a été renvoyé en commission.

L’ASPA (allocation de solidarité aux personnes âgées) est la lointaine héritière de l’allocation aux vieux travailleurs salariés (AVTS) créée en 1942 et du dispositif du « minimum vieillesse » élaboré en 1956.

Elle garantit un niveau de ressources minimal aux personnes âgées de 65 ans ou plus n’ayant pas suffisamment cotisé aux régimes de retraite au cours de leur vie active.

La condition d’âge est abaissée à l’âge légal de départ en retraite pour certaines catégories de personnes (anciens déportés, personnes reconnues inaptes au travail,…).

La personne doit faire valoir en priorité les droits à pension de retraite auxquels elle peut prétendre auprès des régimes de base et complémentaires français ou étrangers ; l’ASPA vient en complément.

Les ressources du demandeur (y compris le montant de l’ASPA) auxquelles il faut ajouter, le cas échéant, celles de son conjoint, concubin ou partenaire de PACS ne doivent pas dépasser un certain plafond (montants en vigueur depuis le 1er avril 2013) :
–          9 447,21 € par an pour une personne seule (soit 787 € par mois)
–          14 667,32 € par an pour un couple (soit 1 222 € par mois)

En dépit des revalorisations successives de cette allocation, l’écart persiste avec le seuil de pauvreté fixé à 60 % du revenu médian, c’est-à-dire 964 euros.

Il s’agit d’une allocation différentielle ; lorsque le total de l’ASPA et des ressources dépasse le plafond autorisé, l’allocation est réduite du montant du dépassement.

Les prestations représentaient un budget de 3,03 milliards d’euros en 2011, financé par la solidarité nationale ; c’est la raison pour laquelle, elles sont récupérables, dans certaines conditions, sur l’actif net successoral des bénéficiaires.

Fin 2010, les bénéficiaires, au nombre de 576.000, percevaient en moyenne 382 euros par mois pour l’ASPA.
Les bénéficiaires de l’ASPA sont à plus de 70% des personnes isolées (célibataires, veufs ou divorcés) ; ils sont âgés en moyenne de 74 ans. Les trois quarts des allocataires sont des femmes.

On peut considérer que, depuis la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, le cumul emploi-retraite est totalement libéralisé sous réserve que 3 conditions soient respectées :
–          avoir atteint l’âge légal de départ en retraite et liquider sa pension au taux plein au titre de la durée ou de l’âge ;
–          avoir liquidé l’ensemble de ses retraites de base et complémentaires françaises et étrangères ;
–          et, pour le salarié, avoir rompu son contrat de travail et avoir signé un nouveau contrat.

L’IGAS (Inspection générale des affaires sociales) estime ainsi le nombre de retraités cumulant un emploi et une retraite à environ 400 000 en 2010 (dont 310 000 relevant du régime général de la sécurité sociale) ; 65% d’entre eux ont entre 60 et 65 ans.

Il n’est pas interdit aux bénéficiaires de l’APSA de disposer de revenus du travail mais le principe du différentiel ne les incite pas le faire puisque l’allocation sera diminuée à due concurrence.

La proposition de loi vise donc à autoriser un cumul de l’APSA et des revenus du travail jusqu’à un plafond qui s’élèverait :
–          à 1,2 SMIC lorsque l’ASPA est versée à une personne seule, soit actuellement 1 346 euros ; ce qui permettrait ainsi à l’allocataire de compléter ses ressources à hauteur de 559 euros par mois ;
–          à 1,8 SMIC lorsque l’ASPA est versée à un couple, soit actuellement 2 011 euros ; ce qui permettrait aux couples allocataires de bénéficier de revenus d’activité jusqu’à 789 euros par mois.

L’IGAS  avait d’ailleurs souligné dans un rapport de 2012 « que cette proposition ne s’accompagnerait d’aucun surcoût pour les finances sociales puisque le minimum vieillesse aurait été payé de toute façon. Elle s’accompagnerait au contraire d’un gain financier pour le régime, lié au fait qu’une activité exercée complémentaire au minimum vieillesse donnerait lieu à des cotisations supplémentaires versées au régime, sans création de droits, comme pour le droit commun ».

Actuellement, 3 300 bénéficiaires de l’APSA déclarent des revenus du travail et voient le montant de leur allocation réduite en conséquence.

Les deux rapports rédigés au titre de cette proposition de loi mentionnent le cas des allocataires qui disposent de revenus du travail non déclarés.
On voit mal ce qui pourrait inciter ces personnes à officialiser ces revenus sur lesquels elles devraient s’acquitter de cotisations sociales alors qu’elles ne pourraient pas bénéficier des prestations correspondantes.

Sachant que les bénéficiaires de l’APSA ont, pour 70% d’entre eux plus de 65 ans et que nombre d’entre eux survivent de la solidarité nationale à la suite d’une invalidité qui ne leur a pas permis de totaliser le nombre de trimestres de cotisations requis, on peut rester sceptique quant à leur propension à s’engager sur le marché du travail à la recherche de « petits boulots » déjà très convoités par d’autres catégories de population au moins aussi précaires qu’eux.

Je vous invite à consulter le tableau inséré en annexe du rapport parlementaire du 17 avril 2013… qui n’est pas là par hasard. Ce tableau recense les personnes en situation de cumul emploi-retraite et qui cotisent actuellement au régime général de la sécurité sociale.

On y découvre qu’en 2012, 4 660 personnes âgées de 80 ans et plus cumulent une retraite et un emploi relevant de ce régime. Parmi elles, 266 ont entre 90 et 99 ans ; 3 ont 100 ans et plus.

Le Conseil d’orientation des retraites fait valoir que « le droit à la retraite ne prive pas les retraités d’un droit fondamental, le droit au travail », pendant que les initiateurs de ce texte mettent en avant les principes de liberté du travail, d’équité, de bon sens et de justice sociale.

Mais la question reste posée : est-ce la société que nous voulons ?

 

Voir le dossier législatif.