Fichier positif des crédits : chronique d’un renoncement annoncé

Après avoir multiplié les déclarations contradictoires au cours de ces derniers mois, le gouvernement vient de faire connaître les contours et le contenu de ce qu’il conviendra de nommer (s’il voit le jour) le « registre national des crédits aux particuliers ».
Ces derniers jours, la presse avait évoqué un fichier allégé… tellement allégé qu’on pourrait même se demander pourquoi sa création a été envisagée.

Publication initiale le 16/06/2013 – Dernière modification le 13/03/2014

Quelques rappels à l’attention de ceux qui ont raté les épisodes précédents

Depuis 25 ans, il est question de créer en France un fichier recensant les crédits consentis aux particuliers afin de prévenir le surendettement et de donner aux prêteurs de la visibilité sur l’endettement des emprunteurs ; 25 millions de personnes pourraient être concernées.

La loi Lagarde (du 1er juillet 2010) avait mis en place un « Comité chargé de préfigurer la création d’un registre national des crédits aux particuliers ». Ce comité, animé par Emmanuel Constans avait rendu, en juillet 2011, un rapport précisant les conditions dans lesquelles le secteur bancaire pourrait mettre en place un tel outil.

À la suite de la publication de ce document élaboré par des professionnels de la banque, s’est organisé dans notre pays un véritable front du refus à l’égard de ce registre dont la création est critiquée par des organisations de consommateurs, des grands réseaux bancaires mais aussi la CNIL, la Fédération bancaire française, la Banque de France, l’Autorité de contrôle prudentiel,…

Un rapport parlementaire déposé en janvier 2013, destiné à réactualiser les données du dossier n’a en rien affaibli le consensus qui s’est construit pour s’opposer à ce projet.

Quoi de neuf aujourd’hui ?

Le gouvernement avait annoncé que ce registre figurerait au nombre des mesures prévues dans le projet de loi sur la consommation. Ce projet, qui a été publié le 2 mai 2013, n’en faisait pas mention.

Il y a quelques jours, Pierre Moscovici, ministre de l’Économie, annonçait que le gouvernement déposerait un amendement au projet de loi sur la consommation, introduisant la création d’un « registre national du crédit aux particuliers ».

C’est donc hier après-midi qu’a été mis en ligne sur le site de l’Assemblé nationale le texte publié par la Commission des affaires économiques qui, dans les articles 22 bis (nouveau) et suivants organise la création d’un « Registre national des crédits aux particuliers ».

Rappelons que tout projet de loi doit être déposé avec son étude d’impact. Le projet de loi relatif à la consommation n’a pas échappé à la règle… sauf que ladite étude d’impact ne traite pas de ce registre puisque son existence n’était pas mentionnée dans le texte initial. Dommage !…

Quel serait le contenu de ce registre ?

Ce nouveau registre serait à la fois un fichier négatif et un fichier positif. Il recenserait :

  • Les incidents de paiements caractérisés relatifs aux prêts consentis aux particuliers ainsi que les informations relatives au surendettement (comme le fait aujourd’hui le FICP)
  • Certains crédits consentis à des particuliers (si leur montant est supérieur ou égal à 200 €) :

    • Les prêts personnels amortissables ;
    • Les crédits renouvelables, lorsqu’ils sont utilisés ;
    • Les crédits affectés ;
    • Les autorisations de découvert, lorsqu’elles sont remboursables dans un délai supérieur à trois mois ;
    • Les opérations de location-vente et de location avec option d’achat.

On notera que certains financements (prêts immobiliers amortissables et regroupements de crédits) ont été exclus de ce nouveau périmètre alors que le rapport Constans prévoyait pourtant de les enregistrer.

Même s’il est vrai que les regroupements de crédits sont juridiquement des prêts à la consommation ou des prêts immobiliers, il ne faut pas perdre de vue que le regroupement de crédits est souvent l’antichambre du surendettement. Ceux qui œuvrent aux côtés des surendettés le savent fort bien.
La Banque de France ne dispose pas de statistiques sur cette question et l’étude d’impact est muette sur la volumétrie des regroupements de crédits.

En résumé, seraient donc exclus de ce registre :

  • Les découverts d’une durée inférieure ou égale à 3 mois ;
  • Les prêts immobiliers (amortissables ou non) ;
  • Les regroupements de crédits (ou au moins un indicateur pour les différencier d’un crédit « ordinaire ») ;
  • Les contrats de location longue durée ;
  • Les engagements par signature (cas dans lesquels la banque s’est portée caution pour un client) ;
  • Les crédits in fine  ;
  • Les prêts familiaux, amicaux et associatifs ainsi que les prêts professionnels consentis aux entrepreneurs individuels (commerçants, artisans, professions libérales et agriculteurs) ;
  • Les dettes autres que bancaires (dettes fiscales, pensions alimentaires, logement, énergie, santé, télécommunications, transports, assurances,…) ;
  • Les conjoints non coemprunteurs alors que, dans certaines conditions prévues par les articles 220 du code civil (mariés) ou 515-4 (pacsés) leur responsabilité peut être engagée dans le remboursement des crédits ;
  • Les personnes cautions qui garantissent des engagements privés ou professionnels (crédits, baux à loyers,..) ;
  • Les personnes en situation de tutelle, de curatelle ou de sauvegarde de justice ;
  • Les personnes associées dans des personnes morales dont elles pourraient avoir à supporter tout ou partie du passif (sociétés civiles, sociétés en nom collectif,…).

Combien de personnes seraient concernées ?

Du fait de l’absence d’étude préalable sur ce registre, personne ne le sait.
Le rapport Constans (page 129) avait fait en 2011 une extrapolation des volumes à partir des éléments contenus dans le fichier positif des crédits utilisé en Belgique.

Ces données étaient, pour la France, les suivantes :
– 18,5 millions de crédits renouvelables
– 7,5 millions de prêts personnels
– 2 millions de prêts affectés
– 11,5 millions de prêts immobiliers
Avec un nombre moyen de 1,6 crédit (tous types confondus) par emprunteur.

Ces chiffres ne permettent pas d’évaluer le nombre d’emprunteurs et de contrats que pourrait enregistrer le nouveau fichier, du fait qu’il faudrait exclure les crédits renouvelables non utilisés et les crédits immobiliers.

En flux ou en stock ?

Alors que le rapport Constans avait détaillé les modalités d’enregistrement des financements souscrits après l’entrée en vigueur du registre mais également celles relatives à une reprise du stock des crédits en cours à cette date, le gouvernement a fait le choix d’une version allégée de ce fichier. Ainsi, l’article 22 sexies (nouveau) prévoit :

« I. – Les articles L. 333-8 à L. 333-11, l’article L. 333-13, L. 333-14 à l’exception de son premier alinéa et les articles L. 333-15 à L. 333-20 du code de la consommation dans leur rédaction issue de la présente loi entrent en vigueur à une date fixée par décret et au plus tard trois ans à compter de sa promulgation. Les articles 22 bis  et 22 ter entrent en vigueur à cette même date.
[…]
« III. – Les dispositions prévues par la présente section s’appliquent aux contrats de crédit conclus à compter de la date mentionnée au I, sous réserve de leur application aux contrats de crédits renouvelables conclus avant son entrée en vigueur dans des conditions précisées par décret en Conseil d’État. »

On en déduit qu’il n’y aura pas de reprise des stocks et que ce registre sera alimenté par les contrats de crédits souscrits à compter de l’entrée en vigueur de la loi. L’entrée en vigueur de ladite loi étant fixée au plus tard 3 ans après sa promulgation. 

Pour être plus précis, rappelons que la dernière réforme du crédit à la consommation (Loi Lagarde) a fait l’objet d’un avant-projet de loi en mars 2009, que la loi a été promulguée en juillet 2010 et que ses derniers décrets ont été publiés fin 2012.

Il faut faire preuve d’un certain optimisme pour penser que ce nouveau projet de réforme de la consommation sera adopté dans des délais plus courts. Même en imaginant seulement 12 mois de débats parlementaires, cette loi ne pourrait pas être promulguée avant mai 2014. Si on y ajoute les 3 ans de délai maximum prévu par l’article 22 sexies (nouveau) du projet de loi… nous serons en 2017.

Rappelons que le rapport Constans prévoyait un délai de construction du fichier pouvant s’étaler sur une période de 18 à 24 mois à compter de la réception du cahier des charges.

En 2017, pourrait donc commencer l’alimentation ce registre avec les crédits nouvellement souscrits sans pouvoir les rapprocher des crédits consentis précédemment puisqu’il n’y aura pas de reprise du stock.
La consultation de ce fichier par les établissements de crédits sollicités pour octroyer des prêts sera donc parfaitement inutile… et le restera longtemps.
Le seul problème est que la consultation de ce fichier quasiment vide lors de sa mise en application sera une obligation pour les banques et leur sera facturée afin de couvrir le coût de fonctionnement du registre.
Je serais étonnée que les banques se satisfassent de ce dispositif.

 

En ce dimanche de fête des pères, on enregistre encore peu de réactions à ce texte (publié samedi 15 juin à 15 heures) au moment où mes petits camarades de l’AFP (et pas seulement eux) profitaient d’un week-end ensoleillé et bien mérité.

Il y a fort à parier que, dans les jours qui viennent, tous les organismes concernés par ce texte prendront position sur cette coquille vide vouée à se développer à la vitesse de l’escargot et adresseront les plus vifs reproches aux héliciculteurs qui en sont à l’origine. Affaire à suivre.

 

 

13/03/2014 – Rejet de cette mesure. Voir l’actualité et le communiqué de presse du Conseil constitutionnel (Décision n° 2013-690 DC du 13 mars 2014)

 

4 réflexions sur « Fichier positif des crédits : chronique d’un renoncement annoncé »

  1. Bonjour,

    Oui; la montagne accouche d’une souris !

    Pour avoir eu, il y a quelques années, « à plancher  » sur le sujet, comme ledit Vanille à propos des regroupements de crédits « Ceux qui œuvrent aux côtés des surendettés le savent fort bien »….mais ils savent fort bien aussi que l’utilité d’un tel fichier ne se révèle pas uniquement pour les crédits à la consommation et les regroupements de crédits.

    Mais il est bien connu que « quand l’on veut tuer son chien on dit qu’il a la rage ».

    Or, dans le cas présent, même s’il est vrai qu’il s’agit d’un chantier de grande envergure et que – ne serait-ce pour y prévoir des solutions adaptées – certaines critiques peuvent être formulées, le vrai motif d’opposition des banques, en particulier des réseaux les plus importants, c’est la crainte de le voir détourné d’un fichier positif préventif des risques au profit d’un fichier commercial.
    Autrement dit, une banque interrogeant ce fichier et n’y trouvant pas le prospect recherché en déduit qu’il s’agirait alors d’un bon client potentiel et il devient alors une cible de démarchage.

    Cdt

    1. Je partage cette opinion, Aristide.

      La vraie question n’est pas celle du surendetté car nous savons tous qu’il a bien souvent des dettes non bancaires lors de l’octroi du prêt (sur lesquelles personne ne lui demande rien) et que 40% des dépôts de dossier de surendettement sont des « redépôts » (des personnes qui sont « interdites de crédit » depuis longtemps).

      La vraie question est celle de l’arbitrage entre les groupes bancaires qui disposent déjà d’un fichier clients bien garni constitué depuis des décennies… et les autres groupes bancaires qui n’ont pas d’outil de ce type.

  2. Merci Vanille pour ce résumé concis du contenu de ce texte.

    Moi ce qui me frappe c’est le grand nombre d’exclusions de ce régistre, mais cela doit se justifier par le soucis de respect de la vie privée des particuliers (?).

    La portée de ce texte doit être relativisée, mais nous pouvons espérer son perfectionnement dans le futur, laissons le temps faire.. En tous cas, l’intention du législateur de protéger les consommateurs contre le surendettement doit être saluée.

    Cordialement

    Borz

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