Des errements dans le traitement des avoirs bancaires en déshérence

La Cour des comptes a revêtu son costume de défenseur de l’épargnant à l’occasion d’une enquête qu’elle a menée sur le traitement des comptes bancaires inactifs, des avoirs en déshérence ou non réclamés.
Dans un domaine aussi peu réglementé, il n’est pas étonnant que chaque banque définisse ses propres règles et mette en œuvre les procédures qui lui semblent les plus opportunes eu égard aux contraintes qui sont les siennes.
La Cour propose en conséquence de créer un véritable arsenal législatif sur cette question afin de protéger les épargnants et leurs ayants droit mais aussi afin de permettre à l’État d’appréhender les sommes qui lui reviennent au titre de la « prescription trentenaire ».

Publication initiale le 01/08/2013

On entend par avoirs bancaires les fonds déposés sur des comptes (courants ou d’épargne), les titres ainsi que le contenu des coffres-forts.
Les banques ont pour obligation de restituer à leurs clients les fonds et les titres en dépôt dans leur établissement. En ce qui concerne les coffres-forts, il s’agit d’une obligation de surveillance car elles n’ont pas connaissance du contenu du coffre.

Des définitions à géométrie variable

Les comptes inactifs sont ceux qui n’ont pas été mouvementés à l’initiative de leur titulaire depuis… un certain temps, qui peut varier de un an à vingt ou trente ans selon les cas et selon les procédures mises en place par les banques pour les identifier. La législation ne fixe pas de délai.

L’immense majorité des banques a une « approche client » du compte inactif ; peu importe qu’un compte d’épargne ne soit pas mouvementé durant des années si le compte courant qui lui sert de support enregistre des opérations.

Les comptes en déshérence dépendent d’une succession vacante dans laquelle il y a absence d’héritiers ou renonciation des héritiers à la succession.

Avant d’être déclarés en déshérence, certains avoirs sont considérés non réclamés lorsque la banque n’a plus de contact avec le titulaire du compte, que les héritiers du titulaire ignorent l’existence du compte ou que le titulaire personne morale a cessé son activité sans être juridiquement liquidé (cas des associations, par exemple).

Les avoirs bancaires qui, faute d’avoir été réclamés pendant trente ans par leur propriétaire, auprès de la banque qui les a en dépôt, sont acquis à l’État.
Toute la difficulté réside dans la fixation du point de départ de ce délai de trente ans.

Les montants concernés

Les montants concernés par ces comptes inactifs ou en déshérence relèvent de l’estimation (estimation réalisée par la Cour des comptes à la suite d’une enquête menée auprès des banques représentant 80% du total de bilan des établissements de crédit établis en France).

L’encours des avoirs bancaires « non réclamés » (comptes à vue et comptes d’épargne) pourrait approcher aujourd’hui la somme de 1,2 milliards d’euros (918 millions d’euros chez les distributeurs historiques du livret A et 298 millions d’euros d’encours inactifs depuis dix ans dans les autres établissements).

Dans toutes les banques sollicitées pour participer à l’enquête, cet encours est en forte croissance sur les dix dernières années.

Cette augmentation est à mettre en corrélation avec l’augmentation du patrimoine financier des ménages (282 milliards d’euros en 1977 mais 3 770 milliards d’euros à fin 2012).
Elle peut s’expliquer aussi par l’application de la réglementation relative à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme qui oblige les banques à se montrer un peu plus curieuses quant à l’identité et aux sources des revenus de leurs clients.

L’enquête estime que près de 1,8 millions de comptes (de dépôt, d’épargne ou comptes-titres) sont concernés (soit environ 1% du nombre de comptes ouverts dans les livres des banques).

On notera que ces avoirs font le plus souvent l’objet de frais de gestion (parfois durant trente ans) qui ont pour effet de réduire le solde du compte de manière notable.

Les obligations des banques

Les obligations faites aux banques par la législation sont si peu nombreuses qu’il ne faut pas s’étonner que chacune s’organise comme elle l’entend… d’autant que la gestion de ces comptes semble représenter bien plus de coûts que de profits. Elles ne sont pas contraintes de communiquer à l’Autorité de contrôle prudentiel des éléments sur le nombre de comptes inactifs et les encours concernés.

Certains journalistes facétieux n’ont pas manqué de remarquer que, selon l’étude menée par la Cour des comptes, les personnes âgées de 90 ans et plus supposées titulaires d’un compte bancaire seraient deux fois plus nombreuses que celles recensées par l’INSEE.

Ce constat n’a rien d’étonnant puisque les banques ne sont pas obligées d’enquêter afin de savoir si le titulaire d’un compte sans mouvement est décédé. Elles n’ont d’ailleurs pas demandé à la CNIL une autorisation d’accès au RNIPP (répertoire national d’identification des personnes physiques) afin d’être informées systématiquement du décès de leurs clients.

Même dans le cas où les banques auraient connaissance du décès du titulaire d’un compte, la législation ne les oblige pas à rechercher les ayants droit.

Elles doivent néanmoins prendre toutes les mesures nécessaires afin d’éviter la fraude et refuser notamment d’honorer les éventuelles opérations initiées après le décès du titulaire (sauf cas du compte joint). Elles doivent aussi vérifier la qualité des ayants droit qui sollicitent la restitution des fonds.

En cas d’inactivité d’un compte, la banque peut le clôturer juridiquement… mais rien ne l’y oblige. Cette clôture ayant pour résultat d’interdire le prélèvement de frais de gestion et de commissions diverses, on comprendra aisément qu’elle ne soit pas systématique. En pratique, un compte inactif peut rester ouvert dans les livres de la banque durant trente ans.

La banque dispose de deux options prévues par la législation :

  • Ou bien, dix ans après le dernier mouvement sur le compte (ou le dernier contact avec le titulaire) elle transfère les fonds à la Caisse des dépôts et consignations (art. 2 de la loi n°77-4 du 3 janvier 1977). Si les fonds ne sont pas réclamés, à l’issue d’un délai de trente ans, la Caisse des dépôts et consignations versera les fonds à l’État (art. L1126-4 du CG3P et L518-24 du COMOFI) ;
  • Ou bien, la banque maintient le compte inactif dans ses livres durant trente ans et verse les fonds à la Caisse des dépôts et consignations à la fin de ce délai (art. L1126-3 du CG3P).

La Cour des comptes relève que peu de clôtures de comptes interviennent à l’issue du délai de dix ans et que les transferts vers la Caisse des dépôts et consignations sont plutôt rares.
Pour la période 2006-2012, seuls 28,9 millions d’euros ont été versés par les banques à la Caisse des dépôts et consignations dont 22,5 millions provenant d’un seul établissement. Celui-ci détenait 1,4 millions de livrets A inactifs pour lesquels il ne parvenait pas à se mettre en conformité avec le FICOBA (Fichier national des comptes bancaires et assimilés) du fait que manquaient les données relatives aux date et lieu de naissance des titulaires ; il a donc transféré les fonds à la Caisse des dépôts et consignations.

Il ne faudrait pas en déduire que la gestion des fonds par la Caisse des dépôts et consignations ne nécessite aucune réforme. Ces fonds sont traités de manières différentes selon qu’ils ont été versés par les banques avant ou à partir du 25 novembre 2011.

Les dépôts intervenus avant le 25 novembre 2011 ne sont pas rémunérés par la Caisse des dépôts et consignations ; le point de départ de la « prescription trentenaire » est la dernière opération ou réclamation effectuée à l’initiative du titulaire sur le compte ouvert à la banque.

Les dépôts intervenus à partir du 25 novembre 2011 sont rémunérés par la Caisse des dépôts et consignations au taux des consignations ; le point de départ de la « prescription trentenaire » est la date du dépôt ou de la consignation auprès de la Caisse des dépôts et consignations.

Cette situation, qui crée des disparités de situation entre les titulaires de compte ne peut perdurer ; le point de départ de la « prescription trentenaire » doit être le même pour tous et la rémunération des fonds ne doit pas dépendre de la date à laquelle la banque a effectué le transfert vers la Caisse des dépôts et consignations.

Comment préserver les droits des épargnants ?

Comme toutes les sociétés commerciales, les banques sont tenues de conserver leur comptabilité durant dix ans (art. L123-22 du code du commerce).
Elles doivent néanmoins archiver la trace de la dernière opération intervenue sur un compte à l’initiative du client (ou la date du dernier contact avec ledit client) et être en mesure de restituer les sommes qui leur ont été confiées dans un délai de trente années à compter de cette date (art. L1126-1 du CG3P).

À la suite des multiples fusions intervenues dans le secteur bancaire au cours de ces dernières années ainsi qu’à l’inévitable refonte des systèmes informatiques, il est assez difficile pour les établissements de crédit de respecter cette contrainte législative et, pour commencer, de fixer de manière indiscutable le point de départ de ce délai.

La Cour des comptes recommande néanmoins de ne pas de réduire ce délai de trente ans afin de maintenir la légitime protection des épargnants.

Elle préconise une définition législative du compte inactif basée sur « l’approche client » en vigueur dans l’immense majorité des banques et demande que soient clarifiées les obligations des établissements de crédit relativement à la gestion de ces comptes.
Elle propose aussi de fixer le point de départ de la prescription des avoirs transférés à la Caisse des dépôts et consignations à la date du dernier mouvement sur le compte ou de la dernière manifestation du titulaire.

La Cour considère que la consultation de certains fichiers s’avère indispensable :

  • Le RNIPP par les banques afin qu’elles puissent avoir connaissance des décès intervenus parmi les titulaires de comptes inactifs.
  • Le FICOBA par les notaires. Rappelons que 88% des successions sont traitées par les notaires et qu’une liste des comptes bancaires ouverts au nom du défunt serait de nature à limiter le nombre de comptes en déshérence.

Elle suggère un transfert obligatoire des fonds à la Caisse des dépôts et consignations

  • Quand le titulaire du compte est décédé depuis deux ans et que ses ayants droit ne se sont pas manifestés ;
  • Quand un compte est inactif durant dix ans (après information du client).

Ces dispositions pourraient utilement être complétées par un plafonnement des frais de gestion prélevés par les établissements de crédit sur les comptes courants inactifs ou par la Caisse des dépôts et consignations sur les avoirs bancaires transférés.

 

Le rapport de la Cour des comptes traite également des contrats d’assurance-vie non réclamés.