Défichés… mais pas perdus de vue

Fleur Pellerin (ministre déléguée chargée des PME) l’avait promis… elle l’a fait !
À compter du 9 septembre prochain, les dirigeants d’une entreprise en liquidation judiciaire ne seront plus inscrits à la Banque de France.
Présentée de cette manière, l’information ne peut que rassurer les entrepreneurs malheureux victimes d’une conjoncture défavorable.
Pourtant, il faut souffrir d’une méconnaissance certaine du monde de la finance pour s’imaginer que cette disposition va redonner une virginité bancaire à ceux qui étaient cotés 040 au FIBEN.

Publication initiale le 05/09/2013

La Banque de France gère depuis plus de trente ans un fichier bancaire des entreprises nommés FIBEN au moyen duquel elle attribue à chaque entreprise une cotation. Plus de sept millions d’entités sont enregistrées dans ce fichier.

Cette gigantesque base de données contient des informations descriptives, comptables et financières ; elle recense aussi les incidents de paiement sur effets, les encours de crédits déclarés par les banques et certaines décisions de justice (redressement / liquidation judiciaire).

La cotation Banque de France est « une appréciation sur la capacité d’une entreprise à faire face à ses engagements financiers à un horizon de 3 ans ».
Les dirigeants des entreprises font également l’objet d’une cotation, qu’ils soient entrepreneur individuel ou dirigeant d’une personne morale.

Jusqu’à maintenant, la cotation des dirigeants présentait 4 graduations :

  • 000 : quand les informations recueillies par la BdF n’appellent pas de remarque
  • 040 : quand la personne « exerce ou a exercé une fonction de représentant légal ou d’entrepreneur individuel dans une entreprise ayant fait l’objet d’un jugement de liquidation judiciaire datant de moins de 3 ans »
  • 050 : notamment quand la personne « exerce ou a exercé une fonction de représentant légal et/ou d’entrepreneur individuel dans deux entreprises qui ont fait chacune l’objet d’un jugement de liquidation judiciaire datant de moins de 3 ans, sauf si ces entreprises font l’objet d’un jugement commun ou d’une extension de jugement »
  • 060 : notamment pour les personnes ayant vécu au moins 3 liquidations judiciaires au cours des 3 dernières années, celles ayant été condamnées à la faillite personnelle ou à une interdiction de gérer une entreprise.

Le décret n°2013-799 du 2 septembre 2013 supprime l’indicateur 040. En conséquence, à compter du 9 septembre 2013,

  • Les entrepreneurs qui étaient cotés 040 retrouveront une cotation 000. Ils recevront un courrier de la Banque de France pour les informer de la mesure.
  • Ceux qui n’ont vécu qu’une seule procédure de liquidation judiciaire au cours des 5 (et non plus 3) dernières années se verront attribuer la cotation 000.

Peut-on en conclure avec enthousiasme que les 150 000 dirigeants aujourd’hui cotés 040 vont, dès lundi prochain, munis de leur nouvelle cotation 000, être accueillis à bras ouverts par leur banquier ?
Ne rêvons pas !…

Tout d’abord parce qu’il existe de nombreux outils pour retrouver les entreprises (et notamment celles qui ont fait l’objet d’une procédure collective) qui ont été dirigées par une personne… à commencer par les outils de la Banque de France.

Ainsi, le module 56 « Fonctions de direction » recense les fonctions de dirigeant d’une personne. La Banque de France le décrit comme suit : « Découvrez ici un véritable curriculum vitæ du dirigeant de l’entreprise, avec le détail de chacune des fonctions qu’il exerce, ou qu’il a exercée ainsi que la cotation de la société concernée. »

Il existe aussi le module 54 « Principales participations » que la Banque de France présente de cette manière : « Découvrez tous les domaines dans lesquels investit votre client ou prospect, en faisant le point sur ses participations et leur cotation Banque de France. »

Ces deux modules (comme tous ceux présentés dans le guide du FIBEN) sont accessibles à tous les banquiers, qui n’auront aucune difficulté à faire le lien entre une personne et une entreprise.

En conséquence, on vous disait il y a quelques jours que votre demande de prêt ne pouvait être acceptée du fait de votre cotation personnelle 040 ; demain, on trouvera un autre motif pour ne pas financer votre projet. Au pire, on ne vous donnera pas de motif du tout.

Ensuite, parce que, dans le cas de l’entrepreneur individuel, toutes ses dettes (tant professionnelles que privées) sont concernées par la procédure de liquidation judiciaire.
Lors de la clôture de cette procédure, la mesure d’interdiction d’émettre des chèques est suspendue (article L643-12 du code de commerce) mais, si certains crédits à la consommation demeurent impayés, l’entrepreneur restera inscrit au FICP.

Rappelons pour terminer qu’il n’existe pas dans notre pays de droit au crédit… ni de droit aux moyens de paiement (chéquier, carte bancaire,…).

En conséquence, même si l’entrepreneur est coté 000 au FIBEN et qu’il n’est inscrit ni au FCC pour des chèques sans provision, ni au FICP pour des impayés sur des crédits à la consommation, il ne pourra jamais obliger une banque

  • À lui ouvrir un compte (sauf dans le cadre de la procédure du droit au compte)
  • À lui consentir un prêt
  • À lui délivrer un chéquier et/ou une carte bancaire

On peut donc s’interroger sur la pertinence de cette mesure qui a donné naissance au décret publié hier… et sur la connaissance du monde bancaire dont disposent ceux qui l’ont demandée.
Ne nous leurrons pas ; la disparition de la cotation 040 n’est pas de nature à faire courir aux banques un risque démesuré.

Seul le temps nous dira si les 150 000 radiés ont, d’un coup de baguette magique, retrouvé une solvabilité suffisante aux yeux des banques.

À défaut, ceux qui ont exigé que cette mesure soit prise et ceux qui ont fait le nécessaire pour qu’elle soit mise en œuvre devront reconnaître… qu’il s’agit d’un coup d’épée dans l’eau.