Comités d’entreprise : l’épicier qui gérait des milliards ?

Les nouvelles dispositions législatives (loi n° 2008-789 du 20 août 2008) sur la transparence et le financement de certaines structures (syndicats et partis politiques notamment) ne concernent pas les comités d’entreprise.

Récemment, les médias ont publié des extraits du rapport de la Cour des comptes relatif au fonctionnement du CE de la RATP. La Cour a d’ailleurs dénoncé au parquet des faits qui lui semblaient délictueux.

C’est dans ce contexte qu’a été déposée le 14 décembre 2011 une proposition de loi sur le financement des comités d’entreprise à l’initiative des députés Nicolas PERRUCHOT et Yvan LACHAUD. Cette proposition a été renvoyée à la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale qui a produit un rapport publié le 20 janvier 2012.

Comment fonctionne un comité d’entreprise ?

De manière très schématique, on peut dire que tous les employeurs de droit privé (entreprises, associations,…) et tous les établissements publics à caractère industriel et commercial dont l’effectif a atteint 50 salariés durant une période de 12 mois (consécutifs ou non) au cours des trois dernières années doit organiser la mise en place d’un CE. Pour plus de détails, voir les articles L2321-1 et suivants du code du travail.

Rappelons également qu’il n’est pas interdit de mettre en place un CE dans une entreprise qui n’aurait pas atteint ce seuil d’effectif.

On estime en France le nombre de CE à 50 000.

Le CE a deux types de fonctions :

  • Des fonctions d’ordre économique : l’employeur doit le consulter dans certaines situations et lui communiquer des informations dont la nature est prévue par le code du travail.
  • Des fonctions de gestion des activités sociales et culturelles destinées aux salariés et à leur famille.

Le CE est composé

  • Du chef d’entreprise (+ éventuellement 2 collaborateurs) qui a voix consultative
  • De salariés élus pour 4 ans (pas nécessairement élus sur des listes syndicales ; les syndicats sont seuls autorisés à présenter des listes au premier tour des élections mais le second tour permet à des non syndiqués d’être élus).
  • De représentants syndicaux.

Quels sont ses moyens financiers  ?

Le CE reçoit 2 subventions :

  • Une subvention annuelle de fonctionnement qui est au minimum égale à 0,2% de la masse salariale brute. On estime, compte tenu du nombre d’entreprises dotées d’un CE, que cette subvention est de l’ordre de 580 millions d’euros.
  • Une subvention destinée aux activités sociales et culturelles dont le taux minimum n’est pas imposé par la réglementation ; seul un montant minimum est prévu par l’article L2323-86 du code du travail.

Il est donc assez complexe d’évaluer le total de cette subvention pour les 50 000 CE français.

Les chiffres connus de la subvention destinée aux activités sociales et culturelles pour les CE des très grandes entreprises sont les suivants (en millions d’euros) :

Entreprise

Subvention

Mode   de calcul
EDF (2010)

186,5

1 % du chiffre d’affaires
SNCF (2010)

93,5

1,721 % de la masse salariale
France Télécom (2010)

92,3

3,7 % de la masse salariale
RATP (2011)

48,9

2,811 % de la masse salariale
Banque de France (2010)

17,2

2,452% de la masse salariale

Ajoutons aux subventions, les contributions des salariés qui bénéficient des prestations du CE ; il s’agit du règlement des achats que les salariés effectuent auprès de leur CE (voyages, spectacles,…).

Quelles sont ses obligations comptables ?

L’article R2323-37 du code du travail précise

A la fin de chaque année, le comité d’entreprise fait un compte rendu détaillé de sa gestion financière.

Ce compte rendu est porté à la connaissance des salariés par voie d’affichage sur les tableaux réservés aux communications syndicales.

Ce compte rendu indique, notamment :

1° Le montant des ressources du comité ;

2° Le montant des dépenses soit pour son propre fonctionnement, soit pour celui des activités sociales et culturelles dépendant de lui ou des comités interentreprises auxquels il participe. Chacune des institutions sociales fait l’objet d’un budget particulier.

Le bilan établi par le comité est approuvé par le commissaire aux comptes mentionné à l’article L. 2323-8.

Chaque CE décide en conséquence de la présentation qu’il souhaite donner à ses comptes puisque celle-ci échappe à la contrainte des documents normalisés auxquels sont astreints nombre d’entreprises. La commission des affaires sociales n’hésite pas à écrire qu’il pourrait s’agir d’une comptabilité d’épicier.

Précisons néanmoins que le budget annuel de certains CE ne dépasse pas 2 000 €.

La législation n’oblige pas nob plus le CE à utiliser une procédure d’appel d’offres dans ses relations avec ses fournisseurs et prestataires.

Contenu de la proposition de loi

Article 1er : Obligation d’établir des comptes annuels pour les comités d’entreprise ayant des ressources supérieures à 230 000 €.

Article 4 : Établissement d’une procédure d’appel à la concurrence pour les travaux et achats des comités d’entreprise dépassant un certain montant.

Ajouts de la commission des affaires sociales

Article 1er : Établissement par les comités d’entreprise de comptes annuels comprenant un bilan, un compte de résultat et une annexe « dans des conditions fixées par décret ». Arrêt des comptes du comité d’entreprise son secrétaire et son président ou un représentant de ce dernier (Dispositions introduites à l’initiative du Rapporteur).

Article 3 bis (nouveau) : Nomination d’au moins un commissaire aux comptes et un suppléant dans les comités d’entreprise disposant de ressources supérieures à un seuil fixé par décret (Disposition introduite à l’initiative du Rapporteur).

Article 7 (nouveau) : Élargissement du champ d’application du texte aux institutions sociales des industries électriques et gazières (IEG) assimilables à des comités d’entreprise (Disposition introduite à l’initiative du Rapporteur).

Le président de la commission des affaires sociales a invité les 8 organisations de salariés et d’employeurs représentatives au plan national et interprofessionnel à s’exprimer sur la présente proposition de loi dans le cadre de 3 tables rondes ouvertes à la presse (avec publication de comptes-rendus de ces réunions).

Que penser de cette proposition de loi ?

Les 8 syndicats conviés à participer aux différentes tables rondes s’accordent sur le fait qu’il faut accroître les exigences de transparence en matière de gestion du budget des CE… à condition que la réglementation ne soit pas un tissu de procédures impossibles à mettre en œuvre dans les petites structures du fait de leur coût et de leur complexité (cf. l’article 4 de la proposition de loi relatif aux appel d’offres).

Cette proposition de loi ne concernerait qu’un peu moins de 2 000 CE (sur les 50 000 qui fonctionnent en France).

Précisions également que plus de 70% des CE siègent dans des entreprises de moins de 200 salariés et sont dotés d’un budget annuel de fonctionnement inférieur à 8 000 €. Plus d’un tiers des CE sont gérés par élus non syndiqués.

L’article R2323-37 du code du travail cité dans la proposition de loi ainsi que dans le rapport de la commission des affaires sociales est la version du texte antérieure à la recodification du code du travail (soit la version antérieure au 01/05/2008). Quand on dit que la formation juridique de nos élus devrait être une préoccupation nationale !…

Cette proposition de loi a été déposée alors qu’un groupe de travail a été constitué, à la demande du Ministre du travail, avec pour objectif de compléter la législation en vigueur dans ce domaine (5 réunions ont été programmées en janvier et avril 2012). Pourquoi tant de précipitation pour légiférer alors que les partenaires sociaux n’ont pas encore terminé leur travail ?

Personne ne sait comment se calcule le seuil de 230 000 € de ressources mentionné dans la proposition de loi. S’agit-il du montant de la subvention de fonctionnement, de celle destinée aux activités sociales et culturelles, des deux cumulées (alors que ces deux budgets ne sont pas fongibles) ?

Au cours des tables rondes, certains n’ont pas manqué de remarquer que si ce seuil de 230 000 € s’applique aux deux budgets cumulés, de nombreux CE composés de 5 ou 6 élus devront avoir recours à un expert-comptable pour produire les documents demandés. Le budget des activités sociales et culturelles sera en conséquence amputé du coût des honoraires à verser à ce professionnel.

Plus généralement, cette proposition de loi, déposée peu de temps après la publication du rapport de la Cour des comptes sur la gestion du CE de la RATP, dispose de toutes les caractéristiques de ce que l’on a l’habitude d’appeler la législation événementielle. Il s’agit d’un document rédigé sur un coin de table, sans concertation avec les parties intéressées (cf. le groupe de travail constitué par le Ministre sur le même sujet), truffé d’imprécisions et qui tend à nous faire croire que l’immense majorité des CE fonctionne comme ceux (rares, heureusement) à l’encontre desquels des poursuites judiciaires sont engagées.

 

Les débats sur ce rapport commencent à l’Assemblée nationale aujourd’hui 26 janvier 2012. Affaire à suivre.

Texte adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 26/01/2012.

Références :

Tous les chiffres cités sont extraits du rapport de la commission des affaires sociales.