Encore un ministre qui souhaite tordre le cou aux demoiselles

Il était autrefois de bon ton de commencer un discours par un solennel Madame, Mademoiselle, Monsieur. Cette formule, bien que considérée comme convenue avait le mérite de s’adresser à tous, en étant moins restrictive que Françaises, Français… ou que l’actuel Mes chers compatriotes qui ont pour résultat d’exclure une partie de l’auditoire.

Mais c’était autrefois car, aujourd’hui, les demoiselles se font rares et on nous dit qu’elles ne vont pas tarder à disparaître, au moins des formulaires administratifs, ainsi que le prévoit une circulaire du Premier ministre du 21 février 2012 publiée le lendemain.

Publication initiale le 26/02/2012 – Dernière modification le 11/01/2013

Cette circulaire demande que soient éliminées des formulaires les mentions suivantes : « Mademoiselle », « nom de jeune fille », « nom patronymique », « nom d’épouse » et « nom d’époux ».

Mademoiselle

Rappelons tout d’abord que Madame / Mademoiselle / Monsieur est un signe de politesse (une civilité) pour s’adresser à une personne… pas un statut juridique.

Une réponse ministérielle du 3 mars 1983 reconnaissait déjà que « l’existence des deux termes différents pour désigner les femmes mariées et celles qui ne le sont pas constitue une discrimination à l’égard des femmes puisqu’une telle différenciation n’existe pas pour les hommes. Elle semble indiquer que le mariage confère à la femme une valeur différente alors que la valeur de l’homme n’est pas affectée par cet acte juridique et social. Il me semble important de préciser que ces termes constituent un usage qu’aucun texte ne codifie ».

Une autre réponse ministérielle du 7 décembre 2006 précisait « Par le passé, deux circulaires ont été adressées à l’ensemble des ministères afin de sensibiliser davantage les administrations publiques et de les inviter à faciliter, pour les femmes qui le souhaitent, l’emploi du terme « Madame ». Plus largement, il est recommandé aux différentes administrations d’éviter toute précision ou appellation susceptible de contraindre la divulgation de l’état matrimonial de l’intéressée dans ses relations avec les tiers, ce qui, outre son caractère attentatoire à la vie privée de l’intéressée, peut être perçu comme vexatoire ».

La circulaire du 21 février 2012 recommande donc que seules les civilités Madame et Monsieur soient utilisées.

La distinction Madame/Mademoiselle n’ayant aucun fondement juridique mais résultant seulement de la coutume, il appartient à chaque femme de choisir la civilité qui lui convient sans que personne ne puisse lui en imposer une.

Certaines communes ont déjà décidé de bannir le terme Mademoiselle de leurs formulaires administratifs, telles Cesson-Sévigné (35) et Fontenay-sous-Bois (94).

Nom de jeune fille

Ce terme, hautement connoté, qui n’est autre que le nom de naissance pour une femme, sera remplacé par le nom de famille. Ce terme n’avait pas d’équivalent pour les hommes.

Nom patronymique

C’est le terme utilisé par la loi du 6 Fructidor an II (23 août 1794) dans son article premier (toujours en vigueur à ce jour) qui dispose qu’ « aucun citoyen ne pourra porter de nom, ni de prénom autres que ceux exprimés dans son acte de naissance. Ceux qui les auraient quittés sont tenus de les reprendre ».

Nom patronymique a été remplacé dans le code civil par nom de famille depuis la loi n°2002-304 du 4 mars 2002.

En résumé, le nom de jeune fille (qui devrait disparaître puisque n’ayant jamais eu d’existence juridique) et le nom patronymique (appellation un peu ancienne du nom de naissance) doivent être remplacés par nom de famille.

Nom d’épouse / nom d’époux

La circulaire considère que ces deux notions ne reflètent pas la situation des personnes veuves ou divorcées qui ont choisi, comme nom d’usage celui de leur conjoint ; c’est donc le terme nom d’usage qui devra être privilégié.

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En résumé, c’est extrêmement simple. Il nous reste le nom de famille (qui est le nom de naissance) et le nom d’usage, qui peut être le nom de famille, mais qui peut aussi être différent.

Nom d’usage

Le nom d’usage peut-être, selon le cas et selon le choix de la personne :

  • Le nom de famille, c’est-à-dire le nom de naissance (anciennement nom patronymique ou nom de jeune fille)
  • Le nom du conjoint (pour les personnes mariées ; pas pour les personnes pacsées ou vivant maritalement sans contrat) puisque chaque époux peut utiliser le nom de son conjoint. Cette utilisation est facultative et n’a aucun caractère automatique. Chaque personne mariée peut prendre comme nom d’usage soit celui de son conjoint uniquement, soit son propre nom accolé à celui de son conjoint (dans l’ordre qu’elle choisit).
  • Le nom du parent qui n’a pas été transmis ; la condition est que l’acte de naissance fasse apparaître la filiation à l’égard du père et de la mère. Le nom d’usage peut aussi être composé du nom de la personne accolé à celui de son autre parent (utilisation du nom de ses deux parents dans l’ordre qu’elle choisit).

Des exemples des différentes combinaisons possibles sont donnés dans la circulaire du 26 juin 1986.

Le nom d’usage qui a été choisi peut être inscrit sur les documents d’identité (à condition d’en faire la demande et de joindre à celle-ci différents justificatifs) et doit être utilisé par les administrations, mais il ne se substitue pas au nom de famille qui est le seul nom mentionné sur les actes d’état civil (acte de naissance, de mariage,…).

Même si les juristes des banques et autres grands comptes ont, depuis de longues années, validé le fait qu’une femme doit choisir sa civilité (Madame / Mademoiselle) et son nom d’usage, il reste beaucoup à faire pour dépoussiérer sur ce point des applications informatiques truffées de contrôles inopportuns… et parfois aussi la mentalité de ceux qui les conçoivent et/ou les utilisent.

Rappelons aussi que cette circulaire est seulement la dernière en date d’une longue série d’instructions qui recommandaient aux administrations de supprimer des formulaires et correspondances les « termes se référant, sans justification ni nécessité, à la situation matrimoniale des femmes ».

Les premières circulaires ministérielles traitant du choix par les femmes de la civilité et du nom d’usage ont été publiées au cours des années 60 et 70. Près d’un demi-siècle après, nous ne pouvons que constater… que nous n’avons pas beaucoup avancé.

Je vous propose en conséquence de faire à nouveau un point sur cette question… en 2050 (ou 2060, c’est comme vous voulez).

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11/01/2013 – Voir sur ce sujet la requête de l’association « Libérez les Mademoiselles ! » qui demandait l’annulation pour excès de pouvoir de la circulaire du Premier ministre du 21 février 2012 ; requête rejetée par le Conseil d’État en vertu d’une décision du 26/12/2012.