Mourrez en paix ; le Conseil européen s’occupe de tout (ou presque)

Il n’existe pas de droit des successions européen. En conséquence, dès lors qu’une succession prend une dimension internationale du fait du lieu de résidence du défunt, de sa nationalité ou de la situation de ses biens, des conflits de lois d’une grande complexité peuvent surgir.

C’est avec l’objectif d’accélérer le traitement des successions, en soumettant la succession à une loi unique et en permettant aux héritiers de voir leurs droits reconnus dans tous les États de l’Union, que le Conseil européen vient d’adopter le 07/06/2012 un règlement relatif aux successions transnationales et au certificat successoral européen.

Publication initiale le 14/06/2012 

Législation actuellement en vigueur

Chaque État dispose d’une législation spécifique en matière de successions (réserve héréditaire*, quotité disponible**, droits du conjoint survivant,…) avec des mécanismes bien particuliers comme la donation-partage en France ou le trust en Grande-Bretagne.

Les conflits de lois surviennent notamment quand le défunt était domicilié dans un État dont il n’avait pas la nationalité et/ou quand il décède dans son pays d’origine en laissant des biens situés à l’étranger et/ou quand il a plusieurs nationalités.

On distingue ainsi deux grandes familles de pays en ce qui concerne leur législation sur les successions :

Les pays dans lesquels une seule loi s’applique à l’ensemble des biens du défunt, meubles et immeubles quelle que soit leur situation (Allemagne, Autriche, Danemark, Espagne, États baltes, Finlande, Grèce, Hongrie, Italie, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Slovaquie, Slovénie, Suède, Tchéquie).

Les pays pour lesquels il y a lieu de distinguer selon la nature des biens dépendant de la succession ; les biens mobiliers étant soumis à une loi unique (en France, celle du domicile du défunt) et les biens immobiliers étant soumis à la loi de leur situation (Belgique, Bulgarie, Chypre, France, Luxembourg, Malte, Irlande et Royaume-Uni, Roumanie). Dans ce cas, les opérations de succession peuvent faire intervenir des règles de droit de plusieurs États y compris en ce qui concerne la détermination de la réserve* et de celle de la quotité disponible**.

Ajoutons à cette complexité sans nom le fait que l’immense majorité des états de l’UE n’admet pas la possibilité de choisir la loi qui sera applicable à la succession. La Convention de La Haye du 1er août 1989 « sur la loi applicable aux successions » qui donne ce choix, n’a été signée que par quatre États… et ratifiée seulement par les Pays-Bas et Aruba (territoire autonome du Royaume des Pays-Bas situé au large des côtes vénézuéliennes).

En pratique

Pour illustrer la complexité du droit actuel, rien de mieux que quelques cas pratiques mettant en évidence les conflits de loi.

Cas 1 – Une personne de nationalité espagnole habite en France où elle possède un bien immobilier. Lors de l’ouverture de la succession de cette personne, la loi française s’applique à l’immeuble alors que la loi espagnole prévoit de s’appliquer à l’ensemble de la succession.

Cas 2 – Une personne de nationalité française habite en France où elle est propriétaire d’un bien immobilier. Elle détient également des comptes à terme ouverts dans des banques françaises ainsi que des biens immobiliers en Italie et au Royaume-Uni. À son décès, la loi française s’applique à l’ensemble des biens composant la succession mais la loi italienne prévoit de s’appliquer à l’immeuble situé en Italie et la loi anglaise doit s’appliquer à l’immeuble situé au Royaume-Uni.

Cas 3 – Une personne de nationalité britannique habitant au Royaume-Uni possède un bien immobilier en France. Lors de l’ouverture de la succession de cette personne, les règles françaises de dévolution successorale s’appliquent à cet immeuble alors même que la notion de réserve héréditaire n’existe pas dans le droit anglais.

Il s’agit là des conflits de lois auxquels s’ajoutent les difficultés que les successibles ont à faire reconnaître leur qualité du fait de la multiplicité des instances chargées de gérer le déroulement des successions et à l’obligation de faire reconnaître leurs droits dans des différents États.

Volumétrie

Les successions à caractère international sont bien plus nombreuses qu’on ne l’imagine ; rien que dans l’Union européenne, il s’en ouvre chaque année plus de 500 000.

À fin 2011, le Ministère des affaires étrangères fait état de plus de 1,5 millions de personnes inscrites au registre mondial des Français établis hors de France (alors même que l’inscription sur ce registre n’a rien d’obligatoire).

On estime également que plus de 12 millions de citoyens européens résident dans un autre État membre que le leur.

Objectifs de ce règlement

— Traiter la succession dans son ensemble (une seule loi s’applique à tous les biens) ;

— Permettre aux citoyens d’organiser à l’avance leur succession en choisissant la loi qui lui sera applicable en respectant certains principes. La loi applicable à l’ensemble d’une succession est celle de l’État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès sauf si le défunt présentait des liens manifestement plus étroits avec un État autre (art. 21) et sauf si le défunt a choisi la loi de l’État dont il possède la nationalité (art. 22) ;

— Permettre l’exécution des décisions rendues dans n’importe quel état signataire « sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure » (art. 39) ;

— Mettre en place un certificat successoral européen qui pourra être utilisé par « par les héritiers, les légataires ayant des droits directs à la succession et les exécuteurs testamentaires ou les administrateurs de la succession » pour prouver leur qualité ou exercer leurs droits (art. 63). « Le certificat produit ses effets dans tous les États membres, sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure » (art. 69) ;

— Donner aux créanciers des informations sur les spécificités et le déroulement d’une succession ouverte dans un État membre. Voir notamment ce site (disponible en 23 langues).

Périmètre et exclusions

En vertu de ce règlement, la loi choisie par le défunt régit notamment (art. 23)

— Le lieu d’ouverture de la succession ;

— La vocation successorale des bénéficiaires, la détermination de leurs parts respectives et des charges qui peuvent leur être imposées par le défunt, ainsi que la détermination d’autres droits sur la succession, y compris les droits successoraux du conjoint ou du partenaire survivant ;

— La capacité de succéder ;

— L’exhérédation et l’indignité successorale ;

— La responsabilité à l’égard des dettes de la succession ;

— La quotité disponible, les réserves héréditaires et les autres restrictions à la liberté de disposer à cause de mort ainsi que les droits que les personnes proches du défunt peuvent faire valoir à l’égard de la succession ou des héritiers ;

— Le rapport et la réduction des libéralités lors du calcul des parts des différents bénéficiaires.

Le règlement laisse compétence à chaque droit national pour régir les matières suivantes : régimes matrimoniaux, libéralités, registres de droits mobiliers ou immobiliers (conservation des hypothèques, livre foncier,…), nationalité.

Sur le plan fiscal, les problèmes de conflits de lois sont réglés par les conventions fiscales internationales.

Entrée en application

Les dispositions prévues dans ce règlement seront applicables en France 3 ans après la publication au Journal officiel de l’UE (publication qui n’est pas encore intervenue à ce jour).

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* Réserve héréditaire : part du patrimoine que la loi attribue à certains des héritiers (enfants / conjoint survivant).

** Quotité disponible : part du patrimoine dont le défunt peut disposer sans léser les droits des héritiers réservataires. Elle s’élève à la moitié du patrimoine en présence d’un enfant, un tiers du patrimoine en présence de 2 enfants, un quart du patrimoine en présence de 3 enfants ou plus.